C’est désormais chose sûre : le WPT Grand Prix de Paris aura lieu du 5 au 10 septembre, à l’ACF à Paris, avec un buy-in exceptionnel de 7500€ pour son Main Event. Les caméras du World Poker Tour en profiteront pour s’installer dans le cadre prestigieux de l’Aviation Club de France, qui devrait accueillir le plus beau field de la rentrée, à quelques semaines seulement de la finale des WSOP-Europe à Cannes. Cette semaine de tournoi No Limit sera précédée d’un magnifique Pot Limit Omaha Triple Chance à 5 000€ (les 3 et 4 septembre), puis par un High-Roller à 15 000€ (du 9 au 11 septembre).
Depuis sa création, le Grand Prix de Paris a accueilli à chacune de ses éditions tout le gotha du poker international. Il suffit de regarder les meilleurs performers de chaque année pour s’en faire une idée plus précise : en 2004, Surinder Sunar (vainqueur), Tony G. (runner-up fameux pour son altercation en heads-up avec Sunar, sous l’œil du WPT), Markus Golser, Chip Reese, Sammy Farha, David Benyamine ; en 2005, en plus de la victoire de Roland de Wolfe, étaient présents Juha Helppi (deuxième), Alan Goehring ou JJ Liu ; en 2006, année nordique avec Jani Sointula (deuxième), Thomas Walhroos (troisième) mais aussi Henri Boutboul, Patrick Schuhl, Phil Hellmuth et Elie Marciano ; en 2007, victoire d’un jeune Canadien, Will Ma, qui a ferraillé avec Jeff Lisandro et Ram Vaswani en table finale ; en 2008, victoire française avec Roger Hairabedian, devant Mickael Seban, et d’autres grands noms comme Elky ou Rémy Biéchel ; en 2009, enfin, avec la victoire de Fabrizio Ricci, devant Jérôme Zerbib, Vikash Dhorasoo, Jan Boubli, David Pecheur et Nicolas Lévi.
Lors de toutes ces années de compétition acharnée, de grands moments de poker ont émaillé les différentes éditions du Grand Prix de Paris. En premier lieu, l’affrontement désormais mythique entre Surinder Sunar et Tony G. Adepte du « trash-talk » (intimider ou faire tilter son adversaire en l’abreuvant d’un flot de paroles continu), Tony G. a en effet pendant longtemps dominé psychologiquement son adversaire, monstre de calme et de zen. Une prestation télévisée par les caméras du WPT qui avait contribué à fonder la légende de Tony G comme digne émule de Phil Hellmuth en matière de trash-talk et à faire du Grand Prix de Paris un des tournois les plus vivants et les plus agréables à regarder. Tony G. se souvient d’ailleurs avec amusement de sa « performance » : « En 2004, dans le tête à tête avec Sunrider Sunar, c’était vraiment deux écoles très antagonistes… Je me suis énormément amusé. Tout ce que j’ai pu faire à la télévision, ce n’est pas un manque de respect, c’est un show. J’ai essayé d’amener un peu de vie au poker, sans me forcer pour autant, mais comme j’aime énormément le jeu, je veux que les gens sentent cette passion qui m’anime ! »
En 2008, Roger Hairabedian s’est imposé au terme d’une finale de haute volée, avec notamment Bertrand « Elky » Grospellier, et le runner-up, Mickael Seban. Comme souvent lors du Grand Prix de Paris, cette édition a permis de révéler de nouveaux talents (Seban), affirmer la maîtrise du jeu de grandes stars (Elky) et lancer une riche carrière (Roger Hairabedian) de joueur de classe internationale. L’année suivante, pour la première fois depuis sa création, la table finale du Grand Prix de Paris 2009 a disposé d’un casting quasiment 100% français : Jérôme Zerbib (très bon ami d’Antony Lellouche et redoutable adversaire en cash-game et tournois), Vikash Dhorasoo (ancien footballeur star qui pratique le poker en professionnel), Jan Boubli (vainqueur, entre autres, de l’EPT Barcelone 2005), David Pecheur (jeune joueur parisien), Nicolas Levi (professionnel de tournois), Mesbah Guerfi (amateur doté d’un beau palmarès de tournoi) et Elie Marciano (habitué de l’ACF et joueur très actif depuis une décennie). Mais c’est le joueur étranger de la table finale, Fabrizio Ricci, qui a finalement remporté le titre, couronnant son poker « old-school » solide et très efficace, après un tournoi passé à jouer short-stack… Une belle victoire qui a récompensé un fidèle de l’ACF depuis plusieurs dizaines d’années !
Alors que le Day 1A s’apprête à accueillir, en mode turbo, un Day 1b qui débute chaque jour à 18h, les busto ou les joueurs trop en retard qui veulent une compétition ne s’étalant pas sur trop de journées, se pressent déjà pour le « Battle Royale », un 750€ qui débute à 17h30, avec des ITM qui se reverront en Day 2 pour toucher le « vrai » argent. Déjà 50 inscrits, et au vu des tables où les croupier se sont déjà installés, il semble que le field devrait au moins doubler dans l’heure à venir.
Au programme, 1 seul re-entry possible, des niveaux de 25 minutes et un bounty à 300€. Bruno Fitoussi, qu’on a aperçu de loin en grande discussion avec Apo Chantzis et François Lascourrèges, les deux hommes-lige à la marque Texapoker, devrait être de cette compétition : l’ambassadeur de la marque a dû renoncer au dernier moment à jouer le Main Event qu’il convoitait car il aurait été pris par un rendez-vous immanquable en éventuel Day 2…
Le poker est une course de fond, mais au rythme assez soutenu des niveaux d’une demie heure proposés par ce Day 1A —à l’heure où nous écrivons ces lignes, sur un tapis de départ, on est déjà à mi-parcours du 600/1200/1200—, les éliminations se succèdent à un train de sénateur (lentement, donc, mais sûrement). Pierre Calamusa, le deuxième pro Winamax à avoir fait son apparition dans la grande salle du parc des Expos de la porte de Versailles, a amené un peu de chaleur et de vie avec lui, déclenchant les selfies des qualifiés et autres joueurs ayant fait le déplacement.
En parallèle, des satellites s’organisent à l’entrée de la salle de tournoi, sous l’oeil affûté d’Apo Chantzis, l’homme derrière la saga fabuleuse de Texapoker, devenu en quelques années le grand acteur incontournable du poker live en France. Ses équipes sont en place, les croupiers de toutes nationalités enchaînent avec dextérité les mains, tandis que les Tournament Director et autres responsables assurent des jugements de Salomon lors des rares protestations. Au menu des satellites, un format peu connu —en tout cas, pas chez nous— qui accélère le jeu : une fois atteint un tapis de 120 000 jetons (sur un tapis de départ de 20 000 jetons), vous décrochez automatiquement vos buy-in pour la finale, au jour désiré. Le gamble va bon train, avec des levels de 10 minutes, mais tout semble désormais possible, avec seulement 105€ en poche. Le rêve, toujours, à portée de jetons.
Les années passent, les passions se déplacent. Il y a quelques années encore, se diriger vers l’autre bout de Paris (quand on habite rive droite) au beau milieu du mois de mars était synonyme d’un voyage quotidien, durant une petite semaine, vers le Salon du Livre qui avait lieu au mêmes dates que cette grande finale du Winamax Poker Tour, au même endroit —dans l’un des grands pavillons de la Porte de Versailles.
En arrivant ce matin sous la chape nuageuse qui obscurcit ce quartier sans grand charme du deep south parisien, les souvenirs reviennent : l’effervescence des signatures d’écrivains régionaux qui attendent le chaland désespérément, les files d’attentes interminables devant les quelques rares stars de l’édition, les stands thématiques qui rappellent plus le salon de l’agriculture que la décadence germano-pratine, les open bar mouvants des soirées de vernissage, les réserves de livres qui s’agitent frénétiquement au rythme des aventures sexuelles des différentes parties en présence, les haines pichrocolines entre éditeurs, les rumeurs de rachat entre géants de l’édition pré-Bolloré (Editis, Hachette, Gallimard), et les reportages cultes qui y sont tournés (« L’édition c’est pas de la littérature », meilleur Strip Teasejamais proposé sur la question, à découvrir gratuitement ici).
Cette année, c’est le poker qui a pris place, parmi d’autres, dans l’un des grands pavillons de cette gigantesque place tournante qu’est la porte de Versailles et ses salons à tous les étages. Au-dessus, une exposition Johnny Haliday, dans deux jours, un championnat de France du sushi, en attendant le « Salon des seniors », le « Sandwich & snack show » ou le plus populaire « Comic Con », fin du mois. Les passions s’additionnent, se superposent, cohabitent le plus naturellement possible.
Avec le temps, la littérature poker, elle, a quasiment disparu. Fut une époque où chaque grand champion offrait son propre livre au joueur qui le bustait des WSOP. Alors que les grandes théories du jeu avaient été popularisées par ce medium —Super System de Doyle Brunson en tête—, et que chaque joueur sponsorisé rêvait d’avoir son nom en couverture d’une biographie ou d’un livre de stratégie (Isabelle Mercier, Patrick Bruel, les collections de François Montmirel —pour les francophones), la mode est passée. « Un livre, mais pour quoi faire ? » répondait un grinder américain à une intervieweuse aux WSOP qui s’enquérait quant au jour où il sortirait sa méthode. Désormais, le passage de témoin se fait par les tutos vidéos, les streaming sur twitch et, de plus en plus rarement, sur des blogs éditorialisés pour l’occasion.
Si les écrits restent, la parole, elle, circule. Elle s’accommode des changements et des évolutions stratégiques, permet de réviser ses erreurs et les nier, autorise tout un chacun à ne pas passer pour le ringard de service. Seuls les récits épiques du jeu parviennent encore à trouver matière à réédition, avec un public de plus en plus restreint. Mais sans story telling, sans grand souffle, le poker arrivera-t-il encore à subsister dans l’histoire et écrire ainsi son grand roman?