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Le journal Off du poker

[Journal des WSOP – 14 juillet] Et au Septième Jour, Hairabedian ressuscita

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Le feuilleton (web) de 2022, pour certains membres de la communauté poker, n’est pas diffusé sur de grandes plateformes de productions vidéo. Il suffit plutôt d’aller traîner du côté de l’un des nombreux comptes de réseaux sociaux de Roger Hairabedian, afin de vivre en direct les affres d’un homme qui a longtemps été considéré comme l’un des plus populaires du circuit. Proche des joueurs, enchaînant Pagnolades avec son accent certifié 100% Vieux Port, celui qui a notamment remporté deux titres WSOP-Europe et activement travaillé à l’essor des tournois de poker au Maroc, avait bien commencé sa vie sur le plan sportif, judoka de renom ayant croisé le fer (et les clés de bras) dans des compétitions internationales au sein de l’équipe de France, à la fin des années 1970s. Basculant dans le monde des arrières-salles du poker à la marseillaise, il a fourbi ses armes dans un monde interlope où le cash change de main en toute discrétion, faisant un tour par la case prison par la suite.

C’est en 2009, après avoir remporté le Grand Prix de Paris à l’ACF pour plus de 400 000€, que Roger Hairabedian a commencé à se frotter aux réseaux sociaux. Ce move, qui part d’une bonne intention, va être déterminant sur la suite de sa carrière. Né en 1955, il s’adapte pourtant très vite à l’exercice, ouvrant ainsi un fil de discussion à son sujet sur les forums de Club Poker. Treize ans plus tard, le million de vues a été dépassé et quelques 10 000 réponses ont été formulées. Au départ, tout se passe bien : les jeunes grinders aiment le franc parler du personnage qui manie, comme ses cadets, facilement l’ironie. Le joueur a de la profondeur, un vécu qu’il assume, et n’a pas été encore dépassé par son personnage public, surnommé « Terminator » ou, plus populairement « Big Roger ». Entre les deux générations, une complicité s’installe, allant jusqu’à encourager le joueur aguerri à reprendre en main sa santé —il est alors en surpoids— et à continuer de partager ses anecdotes.

Flash Forward. Alors que le COVID touche l’Europe en ce début d’année 2020, le BIG, comme il se fait désormais appeler, fourmille de projets de Poker Tour. Son idée, qu’il affine depuis déjà bien des années, est d’instaurer un large payout —30% environ— afin de préserver l’écosystème des joueurs récréatifs, et les faire revenir à ses évènements sans les ruiner. Il a déjà opéré dans plusieurs casinos du Maghreb en tant que consultant, ainsi que pour quelques compétitions hexagonales, mais, souvent, l’aventure s’est mal finie, pour des raisons qu’aucune des deux parties n’explicite vraiment. L’homme a accumulé des regrets et rancoeurs —jamais membre d’une Pro Team, évincé de l’organisation de tournois au Maroc, non sélectionné dans l’éphémère ‘équipe de France de poker’ mise en place par Alexandre Dreyfus, source de moquerie des ‘poneys’ d’internet, comme il les surnomme. « Roger Patrick Hairabedian » est devenu Le BIG, et son personnage a désormais pris le dessus sur le joueur sincère qu’il a été.

Durant ces trois dernières années, suivre les réseaux sociaux de cet alter-ego démiurge, c’est faire une plongée tête la première dans les eaux parfois troubles du milieu du poker low/mid-stakes, dans le quotidien de casinos de pays exotiques (Chypre, la Roumanie, etc.), mais aussi tenter de suivre la dérive presque maniaque d’un homme que presque personne ne semble plus pouvoir suivre. Il faut dire que Roger Hairabedian a dû là encore affronter l’adversité : l’un de ses trois fils (un trio qu’il surnomme affectueusement Le Bon, La Brute et le Truand) a eu affaire avec la justice marocaine en plein covid pour de supposées parties de poker illégales à Marrakech, et la paranoïa s’est installée dans le clan quant à l’identité de celui qui aurait « balancé » ; les tentatives de lancement de son « Big Marvelous Poker Tour » se sont soldées par divers échecs, la faute aux équipes, à l’homme ou aux casinos associés — personne ne sait jamais vraiment le déterminer ; des clashs sans fin avec des petites glorioles du web, comme Adrien Guyon, ancien sponsorisé Winamax et coach à ses heures de joueurs en ligne ; une équipe « félonne » d’anciens collaborateurs qui aura tenté de lancer un autre circuit low/mid-stakes sous le patronyme de « Player One », etc.

Le dernier scandale en date (du mois de juin, une éternité en « temps BIG » puisque les rebondissements se suivent et se multiplient plusieurs fois par jour sur ses réseaux sociaux) est à la fois une dénonciation sous fond de violons synthétiques d’une certaine Angélique Amar, à propos de malversations supposées de l’équipe du BIG — accusation qui trouvera une réponse sous la forme de vidéos face caméra déversant menaces et insultes à 5h du matin, en direct d’une boîte de nuit chypriote, par le BIG ayant vidé une bouteille de vodka ; puis quelques jours plus tard, un tournoi « Marvelous » à Chypre dont on n’aura jamais connu les chiffres de participation (a priori faibles) et dont la cagnotte a mystérieusement disparu au moment de payer les joueurs. S’en est suivie une semaine du « BIG mène l’enquête » à coup de vidéos iPhone qui donnent mal au coeur, où l’homme tente plus ou moins de justifier le trou dans la caisse (« détourné par l’agence de voyage », « les associés » ou « le casino », au choix) avant d’annoncer d’autres compétitions « Marvelous » sur la même île, mais dans d’autres établissements. La saga brandée Netflix n’est jamais loin, et lui-même ironise à ce sujet. Sa communication, singulière, n’est pas inintéressante : il sature littéralement d’informations, parfois contradictoires, change de ton et d’approche selon les heures de la journée (tantôt menaçant, tantôt énervé, tantôt plein d’humour) et ne laisse jamais le terrain libre.

Qu’importe, peut-être, le vrai du faux. Le BIG le sait-il d’ailleurs vraiment ? Dans ce monde de casinos sis dans des paradis fiscaux, d’intermédiaires étonnants et de cash qui circule de main en main sur fond de mauvaise euro-techno, de bars lounge éculés, de palaces grandiloquents et isolés, l’oasis est souvent inversée, double reflet d’une réalité si complexe et en marge qu’elle n’est plus qu’une chimère où tout un chacun tente d’y trouver une justification à sa destinée.

Pour qui est éligible à l’empathie, ainsi suivre les aventures du BIG ne peut que soulever un élan de sympathie humaine. L’homme est, visiblement, aux abois financièrement —il ne le cache d’ailleurs pas— et dans une sorte de fuite en avant qui fonctionne invariablement comme une courbe asymptote, chaque nouveau projet fait place à un autre, plus grandiose et démentiel, avant de mourir sans avoir jamais existé. Prague n’a pas fonctionné ? Qu’importe, allons en Bulgarie. Mal accueilli là-bas? Il y a bien sûr la « marvelous » destination roumaine. Ou chypriote. Ou sénégalaise. Ou américaine. Ou arménienne (la patrie de coeur de Roger Hairabedian). Entre temps, passent des vidéos du BIG, casquette à l’envers, en train de faire semblant de mixer de l’italo-disco sur une plage bulgare ou entonner en t-shirt Dolce Gabanna des mélopées d’Aznavour ou Joe Dassin dans d’improbables karaokés after hours.

Alors que le BIG était à terre, après un énième rebondissement négatif à Chypre —il avouait, dans l’une de ses dizaines de vidéos quotidiennes vouloir jeter l’éponge—, un grand bruit blanc s’est imposé pendant 48h sur son compte Facebook d’habitude si chargé en sessions de karaoké, vidéos clash, et autres réunions matinales avec lui-même quant à ses projets à venir. Alors qu’on le voyait souvent accompagné de son clan familial —ses fils et surtout son épouse Monique surnommée amoureusement ‘Nefertiti’, fidèle parmi les fidèles—, le BIG apparaissait bien seul, à se battre contre les moulins à vents chypriotes, Don Quichotte échoué et mis à terre par plus roués que lui, les bras désormais couverts de tatouages effectués à la va-vite : un drapeau arménien, un autre chypriote, un américain et une allégeance typographique à Jésus Christ… En réaction à ses publications, on pouvait apercevoir des commentaires de croupiers déçus de ne pas avoir été payés d’un évènement passé, ou un joueur turc s’agiter quant à une dette supposée…

Le BIG était submergé, jusqu’à ce qu’une lueur quasi christique (la rédemption qui, en langage poker, se traduit par « se refaire ») illumine son horizon proche : Karim Rebei, un de ses « poulains, pur-sang arabe qui n’a rien à voir avec les poneys d’internet », était chipleader du Main Event des WSOP à Las Vegas, à une cinquantaine de joueurs restants. Et à lire le BIG, c’était lui qui avait « fait » Rebei, sur la scène très active et interlope du poker nord-africain, quelques années plus tôt. On pressentait l’excitation du BIG de se refaire, lui-même partageant des captures d’écran de discussion avec Rebei où il demandait au futur (gros) ITM du Main Event un peu de cash, et de considération médiatique.

Clap. 48h de silence sur les réseaux sociaux, et une nouvelle vidéo s’allume sur le compte Facebook du BIG. C’est le Day 6 du Main Event des WSOP, et l’homme, t-shirt rouge ample, casquette dorée, large croix autour du cou, vient de débarquer à Las Vegas. On le disait « tricard du boléro », interdit de casino au Nevada pour de supposées grosses lignes de crédit jamais remboursées (la rumeur évoquait 400 000$, au Bellagio – lui-même avoue une dette de 200 000$ non encore remboursés depuis plus de dix ans), le voilà qui déjoue les pronostics et arrive, le souffle court, dans les travées des casinos Paris et Ballys. Il vient voir son « pur-sang arabe », et vibrer avec lui. Rebei est alors chipleader à 20 joueurs left, avec 50 millions de jetons devant lui et la gagne à 10 000 000$ en ligne de mire. Avec ce tapis, il fait table finale, voire Top 5 obligatoirement, assène le BIG. Et il compte bien toucher sa part de rêve (et d’ITM) en arrivant sur place.

C’est sans compter sur le style de Rebei, qui paye beaucoup préflop, et pense toujours savoir d’en tirer par la suite avec des bluffs et des contre-bluffs. Cela a réussi 6 jours durant, à force de confrontations qu’il gagne à chaque fois, des Roi-Dame contre paire d’As à tapis, et autres « horreurs » certifiées. L’homme marche sur l’eau, comme si son pseudonyme Facebook « DiamondsDiamonds » où il étale sa vie rêvée entre Dubaï et autres resorts réservés à ceux qui gagnent vite et flambent avec dextérité, allait enfin pouvoir s’affranchir de tout, et trouver l’argent nécessaire pour assumer ce mode de vie surfait. Mais au Day 7 du Main Event, Rebei a mordu la poussière, éliminé en seizième place du Main Event, se « contentant » de 410 000$ seulement, brûlant ses jetons mal gagnés en quelques mains.

Au Septième Jour, après cette élimination le BIG a disparu, et Roger Hairabedian a ressuscité. Adieu les fanfaronnades et les bons mots, place à un homme essoufflé, brisé, « déprimé » (selon ses termes), qui passe le temps à ressasser son rêve brisé (celui d’un autre homme pourtant, ce poulain trop fringuant qui n’a pas su s’arrêter et baisser le rythme) aux tables des Daily Tournament de cette fin de WSOP, au moment où tout le monde quitte Vegas, essoré par les buy-ins, par les filles facilement onéreuses, par l’inflation galopante (1$=1€), par la guigne, par la dépression du désert, par le manque des êtres chers. Face caméra, c’est Roger Hairabedian qui parle, quelques dizaines de secondes. La croupière le rappelle à l’ordre : pas de téléphone à table. Au Septième Jour, celui que tous les « poneys » et autres observateurs du poker apprécient depuis plus d’une dizaine d’année, est apparu, nu et ressuscité, avec le corps massif d’un homme au passé singulier, en proie à l’angoisse de l’avenir. Il est resté ainsi face à nous, en toute franchise, quelques instants, avant de disparaître à nouveau. Au Huitième Jour, le BIG est réapparu. Il va lancer le BPMT Las Vegas. Ou Los Angeles. Ou Chypre. L’avenir le lui dira.

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[WPO Bratislava – journal off] L’odeur du tabac froid

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Il n’y a pas que la victoire dans la vie. Pas que le rush d’adrénaline de la river miraculeuse, la douce euphorie des triomphes annoncés que rien ne vient trahir. Pas que les billets qui passent de main en main pour finir dans sa poche, pas que les trophées à empiler, les credit-card roulettes jamais perdues, les regards empreints d’admiration, les amitiés nouvelles et éphémères. Il y a la défaite, aussi. La solitude d’un casino à 8h du matin, en pleine semaine, quand les petits-déjeuners offerts par l’établissement sont autant d’incitation à rester encore un peu, histoire de se refaire, de ne pas affronter le ciel grisâtre qui a englouti la ville, ne pas croiser son regard dans les miroirs fumés des couloirs qui amènent vers la sortie.

En arrivant trop tôt ce matin au casino Bratislava, la ferveur de 23h59 s’est éclipsée depuis quelques heures. Les vainqueurs, eux, dorment du sommeil de ceux qui ont vu juste. Ne restent que les joueurs, les vrais joueur, ceux qui se fichent bien de gagner et de décaver. Le parfum capiteux qui flotte dans les casinos et les clubs de jeux du monde entier (une amie, ancienne responsable d’un cercle de jeu parisien, m’avait un jour confié que cette odeur si typique aux établissements de jeux, constituait pour elle une madeleine de Proust olfactive, comme l’odeur du poulet dominical, qui la réconfortait immédiatement, par habitude) a depuis longtemps été dissipé par l’odeur du tabac froid. Au sous-sol, machines à sous sous la forme modernes, roulettes électroniques ou avec  croupier et tables de blackjack accueillent une dizaine d’irréductibles. Des joueurs locaux, habitués de ces wee hours où l’on joue par habitude, manque d’envie, voire lassitude. C’est l’illustration presque plastique de la grande théorie psychanalytique du joueur pathologique : il préfère perdre, afin d’avoir une raison de se plaindre —et donc d’être écouté, réconforté, materné.

La gagne, la ouinne, n’est pourtant pas interdite. Au hasard d’un billet de 50 € transformé en quelques minutes en plusieurs billets verts, on se découvre repartir les poches pleines, laissant derrière nous, très vite, le tabac froid, les mines grises, les cafés tièdes du buffet, les roulettes qui tournent dans le vide. A l’étage, les tournois de poker n’ont pas encore repris. Il faudra attendre midi, et l’arrivée d’une flopée de WIP (icônes télévisuelles, influenceurs, sportifs, etc.) ainsi que de joueurs pros pour que la fête reprenne et puisse battre son plein. Et là, peu importe la gagne tant qu’il y a le fun.

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[WiPT Paris – Journal off] Comme un joueur

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Comme un joueur, j’ai cru en mes chances. Cédé à l’ennui de la mi-journée pour buy-in un satellite à 100€, et le gagner, à force de cartes folles.

Comme un joueur, j’ai enchaîné directement par un turbo Day 1 pour le Main Event. Comme un joueur, je suis allé prendre l’air, respirer une dernière fois avant d’entrer dans l’atmosphère de néons blancs et de hangar des salles de tournoi.

Comme un joueur, j’ai enfoncé mon casque, mis en boucle le même morceau lancinant, j’ai dit bonjour au croupier, en anglais ou français selon leur nationalité, j’ai recouvert le babil de mes adversaires des premiers niveaux par un drone en différence et répétitions, j’ai occulté le monde extérieur pour trouver un rythme intérieur.

Comme un joueur, rénégat cette fois, j’ai dû rendre mon accréditation presse au responsable du tournoi, histoire de déiontologie. Comme dans un (mauvais) film policier français, où un flic corrompu dépose pistolet en holster et médaillon de flic sur son bureau, avant de repartir avec son carton vide sous le bras.

Comme un joueur, cela m’a passablement agacé, alors je suis resté concentré. Au lieu d’aller avaler une pizza cartonneuse (18€) ou un « hamburger édition spéciale Johnny Halliday » (26€) dans les rades de cette porte de Paris, j’ai fait le tour à grandes enjambées des autres espaces du salon, pour rester dans ma (toute petite) bulle.

Comme un joueur, j’ai tenté un re-steal en grosse blinde avec une main pourrie (3-8 offsuit), payé debout sur la table par un relanceur avec paire de Dame. Comme un joueur, je suis retombé à une vingtaine de blindes, et j’ai attendu maussade qu’on oublie mes move débiles.

Comme un joueur, j’ai eu trois paires de suite, et comme un joueur, on a fini par me payer, et j’ai triple-up, et je me suis dit que j’étais vraiment le meilleur, et que plus rien ne pouvait m’arriver.

Comme un joueur, j’ai passé le Day 1, je suis entré dans l’argent, et comme un joueur, j’ai regardé le payout des places finales, imaginant ce que je ferais de l’argent vu que je finirais dans le Top 3.

Comme un joueur, j’ai ignoré les injonctions des amis m’enjoignant à « aller me reposer », et au lieu de cela, je suis allé à une fête prévue de longue date. Comme un joueur, je me suis réveillé à 2h30 du matin dans un bar qui passait du métal à 120db, et je me suis dit qu’il était temps de rentrer, peut-être.

Comme un joueur en gueule de bois, j’ai dépensé mes derniers euros en bouteilles de badoit glacée, je les ai bues d’affilée en attendant le début de la deuxième journée de tournoi, mâchonnant deux pommes pour couvrir mon haleine frelatée. Comme un joueur, j’avais envie d’être autre part, et puis a résonné le lancement de cette deuxième journée, et j’ai branché mon casque au téléphone, puis la musique a redémarré, et les premières cartes sont arrivées.

Comme un joueur, Caroline Darcourt m’a pris en photo, et j’étais plutôt content, même si je déteste ces moments, car Caroline a cette empathie qui rend chacun désirable sous son objectif.

Comme un joueur, j’ai fait ami avec mon voisin de table, avant de lui prendre un gros coup, et comme tous les autres joueurs autour, j’ai maugréé à chaque fois que nos tables étaient cassées, et comme un joueur, j’ai foldé, foldé, foldé, puis foldé à nouveau.

Comme un joueur, en huit heures de jeu, j’ai touché une seule paire (de 7, qui touche brelan au flop, et me propulse bien au-delà de l’average), pas une seule main au-dessus d’As-Dame offsuit, et comme un joueur qui regarde les autres joueurs, j’ai du voler la plupart de mes pots, pour attendre un ailleurs plus souriant.

Comme un joueur, j’ai fait le bluff le plus pourri du monde, et comme en face un joueur avait les As en main, j’ai dû faire une horreur pour le sortir. Comme un joueur, j’ai balbutié quelques mots ridicules, car on ne sait jamais comme consoler un autre joueur d’une petite mort imméritée. Comme un joueur, j’ai fermé les écoutilles pour ne pas entendre les moqueries des autres.

Comme un joueur, j’ai attendu et rebondi, j’ai passé un (beau) coup à un semi-pro imbu de lui-même, et je lui ai montré mes cartes car je suis moi aussi un joueur imbu de moi-même.

Comme un joueur, j’ai checké un inconnu après un beau coup, comme un joueur, j’ai écouté mes semblables déverser leurs bad beat, comme un joueur, je les ai entendus se justifier de leurs moves les plus absurdes, comme un joueur, j’ai demandé à mes voisins de table si j’avais bien joué mes mains, histoire de savoir comme eux le feraient.

Comme un joueur, à la pause, je me suis précipité recharger mon téléphone, j’ai fait la queue interminable dans des toilettes saturées, et comme un joueur, j’ai tout fait pour ne pas les entendre parler de re-buy, de tournois high-roller ou de side-events.

Comme un joueur, à environ 100 joueurs left, j’y ai cru encore plus, car j’avais bien au-dessus de la moyenne, car le rythme à table était calme, car j’avais tout le temps du monde et une gueule de bois oubliée dans les effluves de sueur aigre des autres joueurs.

Comme un joueur, j’ai complété un min-raise de la petite blinde, en big blinde, avec 9-10 de coeur. Comme un joueur, j’ai vu apparaître un flop agréable, Dame-Valet-2 offsuit. Comme un joueur, j’ai misé les 2/3 du pot, comme un joueur, mon adversaire, qui avait checké, a payé. Comme un joueur, j’ai vu un turn apparaître, avec rien de plus à l’horizon. Comme un joueur, j’ai check-back pour voir une carte gratuite. Comme un joueur qui voit la lueur au bout du tunnel, j’ai vu un Roi arriver. Et un tapis face à moi. Et comme un joueur avec la deuxième meilleure main possible, je n’ai pas hésité, et j’ai eu une montée d’adrénaline mal identifiée. Comme un joueur qui envisageait de perdre, j’ai payé, et j’ai perdu. As-10 pour une quinte supérieure. Comme un joueur, je viens de vous raconter mon badbeat.

Comme un joueur qui venait de buster, je suis parti l’air vaguement détaché, alors que j’étais agacé, déçu, énervé —contre moi, surtout, mais bien sûr contre le monde entier, car l’enfer, c’est les autres. Comme un ex-joueur, j’ai été toucher mon gain (1750€), et comme un joueur, j’ai fait la liste de ce que cela m’offrirait —une paire de chaussures trop chères, une montre ancienne, un restaurant japonais— et comme un joueur, j’ai rapidement calculé qu’il y en aurait pour bien plus que cela.

photographie Caroline Darcourt pour Winamax

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[WiPT Paris – Journal off] Tout peut arriver

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La musique du hasard est celle qui sert de bande originale à tous les casinos, clubs, cercles, clandos, parties privées, écrans d’ordinateurs du monde entier. Elle résonne comme une ritournelle, change en intensité au fur et à mesure que l’odeur de l’argent entête nos sens, se fait plus strident au moment du couperet de la bulle, puis repart en drone lancinant jusqu’à ce que les vraies places payées (voire les places vraiment payées) se découpent dans l’horizon.

Dans la vie, tout peut arriver, non ? A la table de poker, c’est un pré-requis. Prenez Suat Uyanik, hier soir, au Day 1D, façon Turbo, du Main Event de la finale du WiPT. Réduit à quelques jetons, à peine une grosse blinde, ante non comprise, il part à tapis avec 2-10 de pique, contre une paire de Rois. Flashforward, deux heures plus tard, le voilà quasi-chipleader de la journée, sans être passé par la case re-entry. Entre temps, le 10 avait fait brelan, son tapis avait doublé, puis doublé, puis doublé, puis… Le tempo du hasard s’était accéléré, avait réinjecté un peu de vie et de grinta à celui qui s’était déjà levé et avait enfilé sa veste.

Au poker, tout arrive. Des champions multi-médaillés en viennent à quémander des buy-ins pour midstakes. Des As du online, adulés par des générations de spectateurs, sont jetés à l’opprobre publique pour n’honorer aucune dette et piétiner l’honneur de leurs créanciers. Ce qu’on leur reproche, finalement, n’est pas cette attitude moraliste qui vaut que toute dette doit être remboursée. Qui se fiche bien de savoir si Haralabob Voulgaris, quasi-milliardaire du betting américain, a bien été remboursé de quelques centaines de milliers de dollars par Tom Dwan ? Non, ce qui choque, ce qui blesse, ce qui heurte au plus profond de nous, c’est que ces héros tant admirés, ces bluffs fous et si bien construits qu’ils nous ont agités devant le nez n’étaient qu’instants de pure intensité, prélude à la musique bien plus banale du hasard et du (mauvais) coinflip. Si nos héros nous trahissent, en qui peut-on encore faire confiance?

Et demain, une fois que les quelques 500 joueurs (approximativement puisque le record de 3000 inscrits a déjà été dépassé au moment où nous écrivons ces lignes, et que 16% du field se hissera en Day 2, dans l’argent) auront repris leur place, tout arrivera. Des shortstacks d’une demie blinde entameront une remontée fracassante, parfois brisée en plein vols ; des joueurs à l’aise feront le squeeze de trop, se prendront le mur d’une mauvaise « rencontre »/set-up ; d’autres partiront en maugréant qu’ils « avaient l’équité de toutes façons ». Vu que tout peut arriver, autant s’y préparer.

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