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Le journal Off du poker

Journal des WSOP (11 juin 2011) : Full-service

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Joey a 70 ans, et ses épaules courbées soulignent la fatigue qui habite son corps depuis plusieurs années déjà. Des joueurs de poker, Joey en voit passer par dizaine tous les jours : depuis le bout du couloir de l’Amazon Room, Joey attend patiemment, juché sur l’un des fauteuils de son « Shoeshine parlor », les rares clients intéressés par ses services. « Je n’ai qu’une envie, c’est partir de cette ville », souffle Joey en entamant son troisième client de la journée, commencée quatre heures plus tôt, à l’aube. « A Los Angeles, au moins, j’avais une vie qui ressemblait à quelque chose. J’étais agent immobilier, et puis, en 1981, ils m’ont envoyé à Vegas, car il y avait des affaires à faire. Ca a périclité il y a trois ans… J’ai du faire le taxi pendant deux ans, mais je ne supportais plus les types bourrés qui pissaient et vomissaient sur la banquette arrière… Au moins, cirer des chaussures, c’est du bon boulot. Je passe trop de temps sur chaque client, mais de toutes façons, il n’y a personne avec de vraies pompes dans cette ville de merde… »

A quelques mètres de lui passe Candice. La cinquantaine passée, Candice est juchée sur des platform-shoes d’un autre âge. Ses traits fatigués trahissent le marathon qu’elle traverse au quotidien. Candice est freelance, et vend, oreilles de lapin clignotantes sur le front, des friandises et des cigarettes aux tables de jeu du Rio. « J’ai fini à 4h du matin, et j’ai repris à 9h. C’est idiot, parce que j’habite à une heure de route du casino, mais il faut bien que je dorme un peu avant le week-end… » Après une pause sur l’un des fauteuils surélevés de l’officine de Joey, Candice va affronter dans son costume noir de Bunny délavé le soleil brûlant de la Voodoo Pool, la piscine du Casino Rio. Au beau milieu des touristes du week-end déjà alcoolisés à 11h du matin, Candice force son sourire et repart inlassablement à l’assaut des foules pour quelques dollars de plus : « Les bons jours, j’arrive à vendre mes 30 paquets de cigarette en 2 heures, et quand ça ne marche pas, il me reste la moitié du stock sur les bras. Le problème, c’est que je n’ai pas le droit d’aller en rechercher, c’est interdit par le casino, pour ne pas faire concurrence à ses boutiques. A 1$ de bénéfice par paquet, ça ne fait pas beaucoup… »


Tandis que la vendeuse disparaît dans la foule, une silhouette familière émerge de la Paviillion Room où vient de débuter le tournoi HORSE à 1 500$ : Rémy Biéchel, membre historique de la Team Barrière. Malgré le désert de performances qu’il traverse depuis plus d’un an et demi, Rémy a le sourire. « Je suis dans une forme olympique, » plaisante-t-il, « et je vais tous les déchirer ! ». Il y a 48 heures, Rémy est passé tout près du deuxième tour du tournoi Shootout, dont la finale a lieu ce vendredi. « J’ai joué parfaitement jusqu’au duel final. Là, mon adversaire n’a pas lâché le morceau, et il a exploité mes deux mini-erreurs. Il méritait de gagner, parce qu’il n’a jamais dévié de son poker… »

Dans la salle, le tournoi HORSE a attiré un field prestigieux, malgré le buy-in raisonnable de l’événement : Tom Dwan, sans logo FullTilt, Lyle Berman, Carlos Mortensen, Kiril Gerasimov, Max Pescatori, rivé sur son iPad, John ‘Miami’ Cernuto, Daniel Negreanu, Scotty Nguyen ou encore, pour la France, Fabrice Soulier, éliminé à la mi-journée, Sébastien Sabic (qui finit la journée à 15 000 jetons), David Benyamine et Roger Hairabedian, qui compte bien faire de beaux WSOP.

A quelques mètres d’eux, les 16 derniers joueurs du tournoi Shootout prennent place. Parmi eux, Franck Kassella, l’un des joueurs old-school les plus marquants de la dernière édition des World Series, Vitaly Lunkin, lui aussi d’une performance métronomique, ou Robbie Verspui. Ce jeune pro d’origine hollandaise incarne parfaitement la nouvelle génération de grinders online. Biberonné à la stratégie du « petit tapis » et au jeu de Limit en ligne, Robbie a tout appris par un site communautaire : PokerStrategy. Lorsque j’ai croisé pour la première fois Robbie, en 2009, il s’occupait de la Team de sharks online de ce site. Parmi eux, des inconnus du grand public, mais des stars des hautes limites du online.

Robbie, lui, ne rêvait que de se défaire de toute attache professionnelle. Pour lui, , son avenir se déclinait à l’étranger, en Asie, où il vivait la plupart du temps, comme toute une génération de joueurs online : coût de la vie sans aucune concurrence et décalage horaire parfait pour plumer les joueurs fatigués du online américain au petit-déjeuner. A la table finale du tournoi Shootout, Robbie joue peu, très peu. « A peine 5% des pots ! » se moque même gentiment un site d’information poker américain. Mais, en retrait, Robbie survit depuis le début de cette dernière journée avec peu de jetons, ne les mettant au milieu que dans des spots bien identifiés. Il est 23h à Las Vegas et pendant que les roulettes, tables de craps et bars vidéo-poker se remplissent des fêtards du week-end, le joueur hollandais attend son heure, l’air nonchalant, à cinq joueurs restants. S’il réussit à user ses adversaires, il y a fort à parier que le Spearmint Rhino, le club de striptease le plus couru des joueurs de poker, comptera sûrement quelques clients de plus au petit matin.

Jérôme Schmidt

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[WPO Bratislava – journal off] L’odeur du tabac froid

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Il n’y a pas que la victoire dans la vie. Pas que le rush d’adrénaline de la river miraculeuse, la douce euphorie des triomphes annoncés que rien ne vient trahir. Pas que les billets qui passent de main en main pour finir dans sa poche, pas que les trophées à empiler, les credit-card roulettes jamais perdues, les regards empreints d’admiration, les amitiés nouvelles et éphémères. Il y a la défaite, aussi. La solitude d’un casino à 8h du matin, en pleine semaine, quand les petits-déjeuners offerts par l’établissement sont autant d’incitation à rester encore un peu, histoire de se refaire, de ne pas affronter le ciel grisâtre qui a englouti la ville, ne pas croiser son regard dans les miroirs fumés des couloirs qui amènent vers la sortie.

En arrivant trop tôt ce matin au casino Bratislava, la ferveur de 23h59 s’est éclipsée depuis quelques heures. Les vainqueurs, eux, dorment du sommeil de ceux qui ont vu juste. Ne restent que les joueurs, les vrais joueur, ceux qui se fichent bien de gagner et de décaver. Le parfum capiteux qui flotte dans les casinos et les clubs de jeux du monde entier (une amie, ancienne responsable d’un cercle de jeu parisien, m’avait un jour confié que cette odeur si typique aux établissements de jeux, constituait pour elle une madeleine de Proust olfactive, comme l’odeur du poulet dominical, qui la réconfortait immédiatement, par habitude) a depuis longtemps été dissipé par l’odeur du tabac froid. Au sous-sol, machines à sous sous la forme modernes, roulettes électroniques ou avec  croupier et tables de blackjack accueillent une dizaine d’irréductibles. Des joueurs locaux, habitués de ces wee hours où l’on joue par habitude, manque d’envie, voire lassitude. C’est l’illustration presque plastique de la grande théorie psychanalytique du joueur pathologique : il préfère perdre, afin d’avoir une raison de se plaindre —et donc d’être écouté, réconforté, materné.

La gagne, la ouinne, n’est pourtant pas interdite. Au hasard d’un billet de 50 € transformé en quelques minutes en plusieurs billets verts, on se découvre repartir les poches pleines, laissant derrière nous, très vite, le tabac froid, les mines grises, les cafés tièdes du buffet, les roulettes qui tournent dans le vide. A l’étage, les tournois de poker n’ont pas encore repris. Il faudra attendre midi, et l’arrivée d’une flopée de WIP (icônes télévisuelles, influenceurs, sportifs, etc.) ainsi que de joueurs pros pour que la fête reprenne et puisse battre son plein. Et là, peu importe la gagne tant qu’il y a le fun.

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[WiPT Paris – Journal off] Comme un joueur

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Comme un joueur, j’ai cru en mes chances. Cédé à l’ennui de la mi-journée pour buy-in un satellite à 100€, et le gagner, à force de cartes folles.

Comme un joueur, j’ai enchaîné directement par un turbo Day 1 pour le Main Event. Comme un joueur, je suis allé prendre l’air, respirer une dernière fois avant d’entrer dans l’atmosphère de néons blancs et de hangar des salles de tournoi.

Comme un joueur, j’ai enfoncé mon casque, mis en boucle le même morceau lancinant, j’ai dit bonjour au croupier, en anglais ou français selon leur nationalité, j’ai recouvert le babil de mes adversaires des premiers niveaux par un drone en différence et répétitions, j’ai occulté le monde extérieur pour trouver un rythme intérieur.

Comme un joueur, rénégat cette fois, j’ai dû rendre mon accréditation presse au responsable du tournoi, histoire de déiontologie. Comme dans un (mauvais) film policier français, où un flic corrompu dépose pistolet en holster et médaillon de flic sur son bureau, avant de repartir avec son carton vide sous le bras.

Comme un joueur, cela m’a passablement agacé, alors je suis resté concentré. Au lieu d’aller avaler une pizza cartonneuse (18€) ou un « hamburger édition spéciale Johnny Halliday » (26€) dans les rades de cette porte de Paris, j’ai fait le tour à grandes enjambées des autres espaces du salon, pour rester dans ma (toute petite) bulle.

Comme un joueur, j’ai tenté un re-steal en grosse blinde avec une main pourrie (3-8 offsuit), payé debout sur la table par un relanceur avec paire de Dame. Comme un joueur, je suis retombé à une vingtaine de blindes, et j’ai attendu maussade qu’on oublie mes move débiles.

Comme un joueur, j’ai eu trois paires de suite, et comme un joueur, on a fini par me payer, et j’ai triple-up, et je me suis dit que j’étais vraiment le meilleur, et que plus rien ne pouvait m’arriver.

Comme un joueur, j’ai passé le Day 1, je suis entré dans l’argent, et comme un joueur, j’ai regardé le payout des places finales, imaginant ce que je ferais de l’argent vu que je finirais dans le Top 3.

Comme un joueur, j’ai ignoré les injonctions des amis m’enjoignant à « aller me reposer », et au lieu de cela, je suis allé à une fête prévue de longue date. Comme un joueur, je me suis réveillé à 2h30 du matin dans un bar qui passait du métal à 120db, et je me suis dit qu’il était temps de rentrer, peut-être.

Comme un joueur en gueule de bois, j’ai dépensé mes derniers euros en bouteilles de badoit glacée, je les ai bues d’affilée en attendant le début de la deuxième journée de tournoi, mâchonnant deux pommes pour couvrir mon haleine frelatée. Comme un joueur, j’avais envie d’être autre part, et puis a résonné le lancement de cette deuxième journée, et j’ai branché mon casque au téléphone, puis la musique a redémarré, et les premières cartes sont arrivées.

Comme un joueur, Caroline Darcourt m’a pris en photo, et j’étais plutôt content, même si je déteste ces moments, car Caroline a cette empathie qui rend chacun désirable sous son objectif.

Comme un joueur, j’ai fait ami avec mon voisin de table, avant de lui prendre un gros coup, et comme tous les autres joueurs autour, j’ai maugréé à chaque fois que nos tables étaient cassées, et comme un joueur, j’ai foldé, foldé, foldé, puis foldé à nouveau.

Comme un joueur, en huit heures de jeu, j’ai touché une seule paire (de 7, qui touche brelan au flop, et me propulse bien au-delà de l’average), pas une seule main au-dessus d’As-Dame offsuit, et comme un joueur qui regarde les autres joueurs, j’ai du voler la plupart de mes pots, pour attendre un ailleurs plus souriant.

Comme un joueur, j’ai fait le bluff le plus pourri du monde, et comme en face un joueur avait les As en main, j’ai dû faire une horreur pour le sortir. Comme un joueur, j’ai balbutié quelques mots ridicules, car on ne sait jamais comme consoler un autre joueur d’une petite mort imméritée. Comme un joueur, j’ai fermé les écoutilles pour ne pas entendre les moqueries des autres.

Comme un joueur, j’ai attendu et rebondi, j’ai passé un (beau) coup à un semi-pro imbu de lui-même, et je lui ai montré mes cartes car je suis moi aussi un joueur imbu de moi-même.

Comme un joueur, j’ai checké un inconnu après un beau coup, comme un joueur, j’ai écouté mes semblables déverser leurs bad beat, comme un joueur, je les ai entendus se justifier de leurs moves les plus absurdes, comme un joueur, j’ai demandé à mes voisins de table si j’avais bien joué mes mains, histoire de savoir comme eux le feraient.

Comme un joueur, à la pause, je me suis précipité recharger mon téléphone, j’ai fait la queue interminable dans des toilettes saturées, et comme un joueur, j’ai tout fait pour ne pas les entendre parler de re-buy, de tournois high-roller ou de side-events.

Comme un joueur, à environ 100 joueurs left, j’y ai cru encore plus, car j’avais bien au-dessus de la moyenne, car le rythme à table était calme, car j’avais tout le temps du monde et une gueule de bois oubliée dans les effluves de sueur aigre des autres joueurs.

Comme un joueur, j’ai complété un min-raise de la petite blinde, en big blinde, avec 9-10 de coeur. Comme un joueur, j’ai vu apparaître un flop agréable, Dame-Valet-2 offsuit. Comme un joueur, j’ai misé les 2/3 du pot, comme un joueur, mon adversaire, qui avait checké, a payé. Comme un joueur, j’ai vu un turn apparaître, avec rien de plus à l’horizon. Comme un joueur, j’ai check-back pour voir une carte gratuite. Comme un joueur qui voit la lueur au bout du tunnel, j’ai vu un Roi arriver. Et un tapis face à moi. Et comme un joueur avec la deuxième meilleure main possible, je n’ai pas hésité, et j’ai eu une montée d’adrénaline mal identifiée. Comme un joueur qui envisageait de perdre, j’ai payé, et j’ai perdu. As-10 pour une quinte supérieure. Comme un joueur, je viens de vous raconter mon badbeat.

Comme un joueur qui venait de buster, je suis parti l’air vaguement détaché, alors que j’étais agacé, déçu, énervé —contre moi, surtout, mais bien sûr contre le monde entier, car l’enfer, c’est les autres. Comme un ex-joueur, j’ai été toucher mon gain (1750€), et comme un joueur, j’ai fait la liste de ce que cela m’offrirait —une paire de chaussures trop chères, une montre ancienne, un restaurant japonais— et comme un joueur, j’ai rapidement calculé qu’il y en aurait pour bien plus que cela.

photographie Caroline Darcourt pour Winamax

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[WiPT Paris – Journal off] Tout peut arriver

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La musique du hasard est celle qui sert de bande originale à tous les casinos, clubs, cercles, clandos, parties privées, écrans d’ordinateurs du monde entier. Elle résonne comme une ritournelle, change en intensité au fur et à mesure que l’odeur de l’argent entête nos sens, se fait plus strident au moment du couperet de la bulle, puis repart en drone lancinant jusqu’à ce que les vraies places payées (voire les places vraiment payées) se découpent dans l’horizon.

Dans la vie, tout peut arriver, non ? A la table de poker, c’est un pré-requis. Prenez Suat Uyanik, hier soir, au Day 1D, façon Turbo, du Main Event de la finale du WiPT. Réduit à quelques jetons, à peine une grosse blinde, ante non comprise, il part à tapis avec 2-10 de pique, contre une paire de Rois. Flashforward, deux heures plus tard, le voilà quasi-chipleader de la journée, sans être passé par la case re-entry. Entre temps, le 10 avait fait brelan, son tapis avait doublé, puis doublé, puis doublé, puis… Le tempo du hasard s’était accéléré, avait réinjecté un peu de vie et de grinta à celui qui s’était déjà levé et avait enfilé sa veste.

Au poker, tout arrive. Des champions multi-médaillés en viennent à quémander des buy-ins pour midstakes. Des As du online, adulés par des générations de spectateurs, sont jetés à l’opprobre publique pour n’honorer aucune dette et piétiner l’honneur de leurs créanciers. Ce qu’on leur reproche, finalement, n’est pas cette attitude moraliste qui vaut que toute dette doit être remboursée. Qui se fiche bien de savoir si Haralabob Voulgaris, quasi-milliardaire du betting américain, a bien été remboursé de quelques centaines de milliers de dollars par Tom Dwan ? Non, ce qui choque, ce qui blesse, ce qui heurte au plus profond de nous, c’est que ces héros tant admirés, ces bluffs fous et si bien construits qu’ils nous ont agités devant le nez n’étaient qu’instants de pure intensité, prélude à la musique bien plus banale du hasard et du (mauvais) coinflip. Si nos héros nous trahissent, en qui peut-on encore faire confiance?

Et demain, une fois que les quelques 500 joueurs (approximativement puisque le record de 3000 inscrits a déjà été dépassé au moment où nous écrivons ces lignes, et que 16% du field se hissera en Day 2, dans l’argent) auront repris leur place, tout arrivera. Des shortstacks d’une demie blinde entameront une remontée fracassante, parfois brisée en plein vols ; des joueurs à l’aise feront le squeeze de trop, se prendront le mur d’une mauvaise « rencontre »/set-up ; d’autres partiront en maugréant qu’ils « avaient l’équité de toutes façons ». Vu que tout peut arriver, autant s’y préparer.

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