En quelques minutes, jeudi, la table finale du Players Championship à 50 000$ s’est dénouée. En faisant un « strike » de deux joueurs, Bill Chen et Bruno Fitoussi, Michael Mizrachi s’est propulsé encore un peu plus dans les chipcounts. La finale ne durera que trois heures et demies, une exception à ce niveau de la compétition, surtout dans des variantes où le pot est parfois splitté. Rien ne pouvait arrêter le Grinder, comme le veut l’expression consacrée. Même pas tous les spécialistes de mixed-games présents ce jour à sa table ; le « clan » Mizrachi, venu en masse pour soutenir son meilleur représentant, sentait déjà la victoire arriver après le tournoi en roller-coaster de Michael : chipleader au jour 3, il était redescendu à 300 000 unités en Day 4, deux fois le tapis de départ, pour finir la journée à près de 4 000 000… Un chemin qui souligne bien le jeu extrêmement agressif de Mizrachi, qui prend tous les risques, et même un peu plus.
A quelques centaines de mètres du casino Rio, on ne joue pas pour 2 millions de dollars, chèrement acquis au bout de 5 journées de tournoi, à suer sang et eau sur toutes les plus belles variantes du poker. Le Big Game de Las Vegas est devenu un VERY Big Game pour quelques semaines : il a abandonné la Bobby’s Room du Bellagio pour s’installer dans la Ivey’s Room de l’Aria, qui appartient au même groupe MGM. Là bas, pas question de Limit, Scoop, Split et autres étrangetés lexicales. On y joue en No Limit Hold’Em, en blindes 2000-4000-8000$. Six mois de SMIC en grosse blinde, en somme. Le buy-in pour s’y asseoir a été fixé à 1 000 000$. Les swings sont énormes, avec des masses globales autour d’une table qui frisent les 30 000 000$. Jamais une partie de NLHE aussi chère n’a été jouée depuis longtemps à Las Vegas.
Et pourtant, aucun joueur pro ne s’y risque : à ces prix là, la variance coûte plusieurs bankrolls, surtout en NLHE. Le flip AK contre QQ ? Plus cher que les 2 millions de gains de Mizrachi. Le bluff qui ne passe pas ? La valeur de 3 ou 4 années de buy-ins sur le circuit poker… Seuls les hommes d’affaires amateurs peuvent se permettre de jouer à de telles limites. Comme toujours, on retrouve Guy Laliberté, l’initiateur du One Drop, qui ne trouve du plaisir qu’à jouer à de très hautes limites. Bobby Baldwin, une figure du gaming et de Las Vegas,, est sûrement le plus chevronné à cette table. L’important au poker, a compris Laliberté, est de jouer à la limite de sa zone de confort : le gain doit signifier quelque chose et la perte doit faire mal. A ces limites là, même pour des milliardaires, la défaite laisse un goût amer au petit matin.
Comme à l’époque des plus grosses parties de Vegas, celles de Nick le Grec ou Larry Flint, c’est une seule personnalité qui concentre toutes les attentions. En organisant le One Drop, Laliberté est cette « whale » (surnom donné au plus gros joueurs de casinos) gigantesque qui attire toutes les convoitise. Et, dans son sillage, se multiplient les milliardaires en dollars et les millionnaires en cash. Le casting « bigarré » du One Drop à 1 million de dollars, qui vient d’être finalisé aujourd’hui, exemplifie bien le phénomène : des joueurs pros attirés par l’odeur de l’argent facile, massés autour des dizaine de riches amateurs aux fortunes plus ou moins justifiées. Une réalité bien différente de l’excuse caritative avancée pour organiser le tournoi le plus cher au monde.
Jérôme Schmidt
Bobby Baldwin
Chief Design & Construction Officer, MGM Resorts Intl
Las Vegas, NV
Frederic Banjout
CEO, Eden Shoes
France
Bob Bright
CEO, Bright Trading, LLC
Las Vegas, NV
Ilya Bulychev
Businessman
Moscow, Russia
Roland De Wolfe
Professional Poker Player
London, UK
Tom Dwan
Professional Poker Player
Las Vegas, NV
Jonathan Duhamel
Professional Poker Player
Montreal, Canada
David Einhorn
Hedge Fund Manager
Rye, NY
Antonio Esfandiari
Professional Poker Player
Las Vegas, NV
Phil Galfond
Professional Poker Player
North Potomac, Maryland
Bertrand Grospellier
Professional Poker Player
France
Philipp Gruissem
Professional Poker Player
Germany
Giovanni « Malibu » Guarascio
Professional Poker Player
Montreal, Canada
Phil Ivey
Professional Poker Player
Las Vegas, NV
Eugene Katchalov
Professional Poker Player
New York, NY
Cary Katz
CEO, College Loan Corporation
Las Vegas, NV
Jens Kyllönen
Professional Poker Player
Finland
Guy Laliberté
Founder, Cirque de Soleil/OneDrop.org Canada Founder
Montreal, Canada
Ben Lamb
Professional Poker Player
Las Vegas, NV
Tom Marchese
Professional Poker Player
Parsippanny, NJ
Jason Mercier
Professional Poker Player
Davie, FL
Michael Mizrachi
Professional Poker Player
Miami, FL
John Morgan
CEO, Winmark Corporation
Minneapolis, MN
Daniel Negreanu
Professional Poker Player
Las Vegas, NV
Paul Newey
Chairman, New Wave Ventures
Dorset, United Kingdom
Chamath Palihapitiya
Venture Capitalist
Burlingame, CA
Bill Perkins
Owner, Small Ventures (Private Equity)
Houston, TX
Paul Phua
Asian Businessman
Miri, Malaysia (Island of Borneo)
Brian Rast
Professional Poker Player
Las Vegas, NV
Vivek Rajkumar
Professional Poker Player
Las Vegas, NV
Tobias Reinkemeier
Professional Poker Player
Brighton, Germany
Andrew Robl
Professional Poker Player
Las Vegas, NV
Phil Ruffin
Owner, Treasure Island Resort
Las Vegas, NV
Rick Salomon
Film Producer
Los Angeles, CA
Nick Schulman
Professional Poker Player
Manhattan, NY
Noah Schwartz
Professional Poker Player
Miami, FL
Erik Seidel
Professional Poker Player
Las Vegas, NV
Mike Sexton
Professional Poker Player
Las Vegas, NV
Dan Shak
Founder, SHK Asset Management
Philadelphia, PA
Talal Shakerchi
European Hedge Fund Manager
Surrey, United Kingdom
Mikhail Smirnov
Businessman/Poker Player
Moscow, Russia
Justin Smith
Professional Poker Player
Los Angeles, CA
Brandon Steven
Businessman/Car Dealer Owner
Wichita, KS
Sam Trickett
Professional Poker Player
East Retford, United Kingdom
Haralabos Voulgaris
Professional Gambler
Winnipeg, Canada
Richard Yong
Asian Businessman
Kuala Lumpur, Malaysia
Satellite Winner
$25,300 Mega Satellite – June 30 at Rio (name(s) TBD
Il faut croire que la devise ne sied pas qu’aux pays qui l’ont officiellement adoptée (Andorre, Angola, Belgique, Bolivie, Bulgari, Géorgie, Haïti et Malaisie) : au poker aussi, l’union fait la force. C’est en tout cas l’évidence qui s’impose lorsqu’hier, au lancement des derniers Day 1, trois figures du poker hexagonal sont montées sur scène, scellant ainsi une alliance que beaucoup n’auraient jamais imaginée il y a encore quelques années : Matthieu Duran (Live Event directeur de Winamax), Patrick Partouche (des casinos du même nom) et Apo Chantzis (Texapoker).
Alors que des secousses avaient mis de la friture sur la ligne de la relation Winamax-Partouche il y a plusieurs années, il fallait bien tout le savoir-faire et le talent naturel d’Apo Chantzis, fort de ses équipes et son maillage extraordinaire sur tout le territoire, pour mettre tout le monde autour d’une même table, et arriver à sceller un destin commun. Hier, leur présence à trois sur la grande estrade du Pasino Grand d’Aix-en-Provence était à la fois le symbole d’une industrie pacifiée, qui travaille désormais main dans la main, et d’une victoire médiatique, devant ce qui allait devenir le plus grand field d’une finale du Winamax Poker Tour.
Petit à petit, le field se rapproche « de l’argent ». Une obsession pour ces milliers de joueuses et joueurs qui se déplacent parfois depuis l’autre bout de la France afin de s’offrir un shot au prizepool juteux proposé par ce tournoi à seulement 500€ ? Pas certain, ou en tout cas, pas obligatoirement pour tout le monde. L’obsessions d’entrer dans l’argent (souvent pour un gain marginal, à moins d’atteindre le Top 20 du tournoi, surtout lorsqu’on a mis plusieurs bullets dans le tournoi, jusqu’à sept pour les plus opiniâtres) relève plus du défi personnel —inscrire sa première ou son énième ligne HendonMob, raconter à ses amis son run avant son badbeat qui met une halte définitive à tout rêve d’argent et de gloire— que d’un plan de carrière. Les pros, on le sait, sont de moins en moins présents dans les fields de poker, ce jeu de hasard et de talent (dans l’ordre inversé) étant devenu pour beaucoup un loisir, une récréation, une parenthèse qu’il faut garder enchantée.
Rien de plus frustrant pour un joueur, en effet, que de ne pouvoir jouer ; au piquet, pour celui qui s’interdit de jeu comme pour celui qui y est tricard du boléro. En montant le long escalator qui amène au premier étage du Pasino Grand d’Aix-en-Provence, on glisse lentement, dans le brouhaha des jetons et des files de joueurs en attente d’un siège, au beau milieu des fanions qui ornent les murs, célébrant vainqueurs et héros du Winamax Poker Tour au fil des années. Parmi les visages en gros plan, cadrés serrés, une seule photo de groupe : celle de la « Team Big Roger », victorieuse en 2013 du seul tournoi par équipe proposé lors de ces festivals. Sur l’affiche, trois visages souriants, ceux de Stéphane Bazin (depuis très rare sur le circuit poker), Antonin Teisseire (omniprésent lors des tournois du sud-est de la France et sur le circuit Partouche) et Roger « Big » Hairabedian. Ce dernier, nous en avons déjà parlé in extenso lors d’une plongée tête la première dans son éternelle télé-(ir)réalité qu’il autoproduit chaque jour ses réseaux sociaux, annonce son éternel come-back. Mais ses courbes émotionnelles, tout aussi ascendantes que descendantes, ont rendu l’opération de plus en plus délicate. Chaque espoir s’ouvre teinté d’une seule crainte pour l’observateur empathique : que rien ne voie le jour, que tout s’effondre avant d’avoir été monté, voire simplement esquissé.
On ne croisera pas Roger Hairabedian à Aix-en-Provence au WiPT 2025. Contempteur du online, ce n’est pas pour cette raison qu’il aura décidé de skip un large field comme il les aime ; il est tout bêtement interdit de tous les casinos Partouche. L’homme a du talent —il en a toujours eu et, peu importe les années qui passent, il sait signer quelques places dans les casinos qui l’accueillent encore, comme le Circus à Paris— mais aussi celui de se mettre à dos la terre entière, avec quelques obsessions à la clé en sus. On ne sait jamais vraiment, dans les nébuleux rebondissements qui peuplent ses dérives intimes, quelles sont les véritables raisons de ces interdictions de casino, fâcheries diverses et vendetta en ligne. Peut-être, finalement, n’est-ce d’ailleurs pas la question principale…
« Les centaines de choses que l’on a faites de travers dans la vie. Pas forcément à dessein : elles ont pu se produire par stupidité, maladresse, inconscience, par mégarde, pure connerie, sans arrière-pensée« , lisait-on justement à quelques minutes du coup d’envoi du Day 1E en incipit d’un roman sublime, Jours blancs (Jeroen Brouwers, 2013), sous le regard étincelant du Big Roger gagnant d’il y a une décennie. Le regard, depuis, s’est fait plus dur —parfois lucide, parfois désespéré, souvent encore joueur. « Il arrive qu’un souvenir insupportable s’en échappe, et pénètre soudain votre cerveau, pareil à un cambrioleur qui vous jette une corde à piano autour du cour, et nous serre la gorge. » Le souvenir de la victoire, de la gloire et de l’argent étrange ainsi au quotidien ceux qui ont connu de telles cimes ; la respiration de ce millier d’anonymes qui se presse sur l’escalator menant à la table de tournoi n »est que régularité et stress positif.
Que faire, lorsqu’on ne peut plus jouer ? Lorsqu’on vit à distance les grands évènements sans, parfois, ne pouvoir y participer ? A l’époque de champions sublimes comme Stu Ungar, c’était la brokitude qui interdisait toute action. Dans sa biographie, écrite par Nolan Dalla (Joueur né, 2008), l’ancien champion du monde tourne en rond, imaginant les caves s’envoyer en l’air pendant que lui rumine dans sa chambre d’hôtel miteuse du Gold Coast, à Las Vegas. En 2025, Roger Hairabedian a inventé d’autres expédients, intronisant à quelques semaines des grandes compétitions de l’année (WiPT, WSOPC, WSOP Vegas) une joueuse inconnue, Céline « Douceur » Beauchamp, 716$ au compteur de sa page HendonMob. Aux antipodes, donc, de Roger Hairabedian, 11ème joueur all time français et ses quelques 5 500 000$ de gain. On imagine, assez simplement, un contral moral de stacking avec celle qu’il estime « prête à faire de grandes choses dans le poker », sans en connaître plus de détails.
A la hargne et la grinta du parrain Hairabedian, succèderait donc la « douceur » de sa néo-protégée, Céline Beauchamp, qui a cette double tâche muette d’adoucir l’image du mentor et d’aller chercher la gagne là où les portes lui sont désormais fermées. Croisée par hasard à table lors du Day 1C de la finale du WiPT, on ne lui aura pas porté chance, puisqu’elle va sauter quelques secondes plus tard du tournoi principal. Si l’argent et la gloire médiatique sont au choix les deux mamelles qui sous-tendent le monde depuis l’époque pas si révolue de Jean Yanne (pour les plus jeunes, réalisateur & acteur anar-libertarien des années soixante), vivre par procuration le jeu, ses frissons et ses enjeux narcissiques, semble relever d’un lent supplice qu’on ne saurait conseiller à ses pires ennemis. Comment continuer à être, lorsqu’on a été ? Parmi la foule qui s’amasse au fur et à mesure que nous écrivons ces lignes, il y a sûrement dans cet horizon de rêves flottants au-dessus de chaque siège bien des nuances de fantasmes : l’action, le fun, la légende, la victoire et même la perte. Rien ne va plus, faites vos jeux.
Il n’y a pas que la victoire dans la vie. Pas que le rush d’adrénaline de la river miraculeuse, la douce euphorie des triomphes annoncés que rien ne vient trahir. Pas que les billets qui passent de main en main pour finir dans sa poche, pas que les trophées à empiler, les credit-card roulettes jamais perdues, les regards empreints d’admiration, les amitiés nouvelles et éphémères. Il y a la défaite, aussi. La solitude d’un casino à 8h du matin, en pleine semaine, quand les petits-déjeuners offerts par l’établissement sont autant d’incitation à rester encore un peu, histoire de se refaire, de ne pas affronter le ciel grisâtre qui a englouti la ville, ne pas croiser son regard dans les miroirs fumés des couloirs qui amènent vers la sortie.
En arrivant trop tôt ce matin au casino Bratislava, la ferveur de 23h59 s’est éclipsée depuis quelques heures. Les vainqueurs, eux, dorment du sommeil de ceux qui ont vu juste. Ne restent que les joueurs, les vrais joueur, ceux qui se fichent bien de gagner et de décaver. Le parfum capiteux qui flotte dans les casinos et les clubs de jeux du monde entier (une amie, ancienne responsable d’un cercle de jeu parisien, m’avait un jour confié que cette odeur si typique aux établissements de jeux, constituait pour elle une madeleine de Proust olfactive, comme l’odeur du poulet dominical, qui la réconfortait immédiatement, par habitude) a depuis longtemps été dissipé par l’odeur du tabac froid. Au sous-sol, machines à sous sous la forme modernes, roulettes électroniques ou avec croupier et tables de blackjack accueillent une dizaine d’irréductibles. Des joueurs locaux, habitués de ces wee hours où l’on joue par habitude, manque d’envie, voire lassitude. C’est l’illustration presque plastique de la grande théorie psychanalytique du joueur pathologique : il préfère perdre, afin d’avoir une raison de se plaindre —et donc d’être écouté, réconforté, materné.
La gagne, la ouinne, n’est pourtant pas interdite. Au hasard d’un billet de 50 € transformé en quelques minutes en plusieurs billets verts, on se découvre repartir les poches pleines, laissant derrière nous, très vite, le tabac froid, les mines grises, les cafés tièdes du buffet, les roulettes qui tournent dans le vide. A l’étage, les tournois de poker n’ont pas encore repris. Il faudra attendre midi, et l’arrivée d’une flopée de WIP (icônes télévisuelles, influenceurs, sportifs, etc.) ainsi que de joueurs pros pour que la fête reprenne et puisse battre son plein. Et là, peu importe la gagne tant qu’il y a le fun.