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Le journal Off du poker

Journal Off du poker : Negreanu, Esfandiari et la gourou-mania

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Au poker, l’équilibre est plus que nulle part ailleurs d’une fragilité absolue. L’hygiène de vie, la force mentale, la santé financière sont autant des quelques données qui rentrent en compte à chaque main jouée, chaque partie initiée, chaque tournoi payé. Avec l’avènement médiatique du poker de tournoi comme discipline sportive, toute une armada de « professionnels » du coaching se sont mis en branle pour cadrer ces joueurs le plus souvent venus de l’univers geek, passés par la case pizza – nuits blanches – compléments énergétiques, avant d’atterrir aux tables les plus chères du monde, le plus souvent après quelques nuits de fêtes intensives dans les villes du jeu (Monaco, Las Vegas, Macau, etc.)

Le poker, et l’argent qui en découle (ou qui fuit, à chaque moment), est un monde de désirs insatiables, de rushs d’adrénaline qui échappent au joueur, de diverses tentations plus ou moins raisonnables, ou abordables. C’est un monde hédoniste, où l’on se « fait plaisir » et « fait plaisir » à ses proches lors des victoires, addictif également, puisque le « juice » qui se rue dans les veines du joueur deviennent une raison de vivre à part entière, un monde à la fois isolé et déréalisé, où les professionnels vivent d’hôtels en avion, sautant les fuseaux horaires, s’écroulant dans les salles d’attente VIP des aéroports, avant de se retrouver à table pour partager un dernier repas avant le début de la compétition.

Entouré, le joueur l’est de plus en plus. Mais comment ? C’est la question que pose, fort justement, le site américain DonkDown, auteur d’un papier à charge sur deux des joueurs les plus médiatiques du circuit, Daniel Negreanu et Antonio Esfandiari. Negreanu, figure médiatique par excellence, et le « Magician », ressorti de la semi-pénombre dans laquelle il vivait depuis quelques années à l’occasion de sa victoire du Big One for One Drop, ont tout gagné ou presque. Mais, pour autant, n’ont-ils pas connu les affres du doute financier, voire existentiel ? Car, pour un joueur de poker, quel sens donner à un quotidien fait d’une litanie de voyages, de coinflips perdus (ou gagnés), de rouleaux de billets de 100$ brûlés en boîte de nuit, de nuits blanches perdues aux tables de craps, des petits matins dans les stripclubs ? Comme pour les stars du rock (ou du cinéma, etc.), le vide emplit la vie du joueur désœuvré. Le « juice », cette adrénaline de l’action à la table de jeu, manque dans les veines de celui qui ne vit que pour des montagnes russes émotionnelles, ne connaît les ivresses du sommet qu’en comparaison à la dépression des fonds dans lequel il se perd. Et en voulant donner un sens à sa vie, à sa trajectoire, à ces coups perdus d’un coup de dés ou de cartes, il devient la proie la plus évidente pour tous les charlatans en « personal development ».

Preuve de cet embrigadement-éclair, la présence écrasante de Choice Center dans le quotidien de ces deux joueurs : lorsqu’Esfandiari remporte les quelques 18 000 000$ du One Drop, il remercie son père et… Robyn Williams, fondatrice du Choice Center Leadership University ; quant à Negreanu, il est subitement absent du NBC HeadsUp Championship (un invitational à forte dotation) et même du LAPC car il « devait voir des amis », soit son nouveau cercle du Choice Center. Une présence envahissante qui va même jusqu’à déranger sa coéquipière du Team PokerStars, Vanessa Selbst, qui retweete le lien de DonkDown. Une initiative visiblement mal pris en haut lieu, puisque ce lien disparaît assez vite, sans que Negreanu ne fasse de déclaration publique. Il faut dire que Selbst corrobore à demi mot la sortie médiatique du bloggeur américain : Negreanu et Esfandiari (respectivement diplômés du LV 127 et du LV 120, dans l’étrange système de diplômes du Choice Center) passent leur temps à appeler et recruter de nouveaux joueurs pour les intégrer à des stades de développement personnel coûtant plusieurs milliers de dollars. Et la liste de joueurs qui vont y faire un tour serait impressionnante : Gavin Smith (une proie idéale, au vu de sa passe difficile entre alcool et broke-attitude), Theo Tran, Sorel Mizzi, Erick Lindgren (le joueur le plus ruiné du moment, selon Haralabo Voulgaris, suite à des paris sportifs démentiels), Mike Binger, Matthew Waxman ou encore Adam Junglen. Seul David Williams a publiquement démenti toute implication réelle dans Choice Center.

Selon les informations de DonkDown, Negreanu aurait déjà donné plus de 100 000$ à la fondation, et Esfandiari de même. Quant aux témoignages des anciens membres, ils sont sans pitié : « Une secte qui va vous vider les poches. Ils exploitent la misère ou la détresse des gens qui veulent changer ce qui ne va pas dans leur vie, et ne vous écoutent que vous si alignez la monnaie. C’est à cause de gens comme ceux-là que Vegas est une ville encore plus impitoyable qu’elle ne l’était déjà ». Et pendant ce temps, le Choice Center de Las Vegas ne désemplit pas, paré d’habits de vertu en levant de l’argent pour des enfants malades. Chaque séminaire (« Ecstasy of Relationship », « The Samurai Game », « Teen Leadership ») affiche complet et les visages béats de Negreanu et Esfandiari, deux des plus grands joueurs de leur génération, trônent au beau milieu du babil sectaire de cette énième émanation « newborn » de l’Amérique déboussolée. Cet été, en marge des World Series, il y a fort à parier que les préfabriqués du 9145 West Russel Road, à quelques blocs seulement du Casino Rio, seront remplis de joueurs au bord du gouffre.

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[WPO Bratislava – journal off] L’odeur du tabac froid

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Il n’y a pas que la victoire dans la vie. Pas que le rush d’adrénaline de la river miraculeuse, la douce euphorie des triomphes annoncés que rien ne vient trahir. Pas que les billets qui passent de main en main pour finir dans sa poche, pas que les trophées à empiler, les credit-card roulettes jamais perdues, les regards empreints d’admiration, les amitiés nouvelles et éphémères. Il y a la défaite, aussi. La solitude d’un casino à 8h du matin, en pleine semaine, quand les petits-déjeuners offerts par l’établissement sont autant d’incitation à rester encore un peu, histoire de se refaire, de ne pas affronter le ciel grisâtre qui a englouti la ville, ne pas croiser son regard dans les miroirs fumés des couloirs qui amènent vers la sortie.

En arrivant trop tôt ce matin au casino Bratislava, la ferveur de 23h59 s’est éclipsée depuis quelques heures. Les vainqueurs, eux, dorment du sommeil de ceux qui ont vu juste. Ne restent que les joueurs, les vrais joueur, ceux qui se fichent bien de gagner et de décaver. Le parfum capiteux qui flotte dans les casinos et les clubs de jeux du monde entier (une amie, ancienne responsable d’un cercle de jeu parisien, m’avait un jour confié que cette odeur si typique aux établissements de jeux, constituait pour elle une madeleine de Proust olfactive, comme l’odeur du poulet dominical, qui la réconfortait immédiatement, par habitude) a depuis longtemps été dissipé par l’odeur du tabac froid. Au sous-sol, machines à sous sous la forme modernes, roulettes électroniques ou avec  croupier et tables de blackjack accueillent une dizaine d’irréductibles. Des joueurs locaux, habitués de ces wee hours où l’on joue par habitude, manque d’envie, voire lassitude. C’est l’illustration presque plastique de la grande théorie psychanalytique du joueur pathologique : il préfère perdre, afin d’avoir une raison de se plaindre —et donc d’être écouté, réconforté, materné.

La gagne, la ouinne, n’est pourtant pas interdite. Au hasard d’un billet de 50 € transformé en quelques minutes en plusieurs billets verts, on se découvre repartir les poches pleines, laissant derrière nous, très vite, le tabac froid, les mines grises, les cafés tièdes du buffet, les roulettes qui tournent dans le vide. A l’étage, les tournois de poker n’ont pas encore repris. Il faudra attendre midi, et l’arrivée d’une flopée de WIP (icônes télévisuelles, influenceurs, sportifs, etc.) ainsi que de joueurs pros pour que la fête reprenne et puisse battre son plein. Et là, peu importe la gagne tant qu’il y a le fun.

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[WiPT Paris – Journal off] Comme un joueur

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Comme un joueur, j’ai cru en mes chances. Cédé à l’ennui de la mi-journée pour buy-in un satellite à 100€, et le gagner, à force de cartes folles.

Comme un joueur, j’ai enchaîné directement par un turbo Day 1 pour le Main Event. Comme un joueur, je suis allé prendre l’air, respirer une dernière fois avant d’entrer dans l’atmosphère de néons blancs et de hangar des salles de tournoi.

Comme un joueur, j’ai enfoncé mon casque, mis en boucle le même morceau lancinant, j’ai dit bonjour au croupier, en anglais ou français selon leur nationalité, j’ai recouvert le babil de mes adversaires des premiers niveaux par un drone en différence et répétitions, j’ai occulté le monde extérieur pour trouver un rythme intérieur.

Comme un joueur, rénégat cette fois, j’ai dû rendre mon accréditation presse au responsable du tournoi, histoire de déiontologie. Comme dans un (mauvais) film policier français, où un flic corrompu dépose pistolet en holster et médaillon de flic sur son bureau, avant de repartir avec son carton vide sous le bras.

Comme un joueur, cela m’a passablement agacé, alors je suis resté concentré. Au lieu d’aller avaler une pizza cartonneuse (18€) ou un « hamburger édition spéciale Johnny Halliday » (26€) dans les rades de cette porte de Paris, j’ai fait le tour à grandes enjambées des autres espaces du salon, pour rester dans ma (toute petite) bulle.

Comme un joueur, j’ai tenté un re-steal en grosse blinde avec une main pourrie (3-8 offsuit), payé debout sur la table par un relanceur avec paire de Dame. Comme un joueur, je suis retombé à une vingtaine de blindes, et j’ai attendu maussade qu’on oublie mes move débiles.

Comme un joueur, j’ai eu trois paires de suite, et comme un joueur, on a fini par me payer, et j’ai triple-up, et je me suis dit que j’étais vraiment le meilleur, et que plus rien ne pouvait m’arriver.

Comme un joueur, j’ai passé le Day 1, je suis entré dans l’argent, et comme un joueur, j’ai regardé le payout des places finales, imaginant ce que je ferais de l’argent vu que je finirais dans le Top 3.

Comme un joueur, j’ai ignoré les injonctions des amis m’enjoignant à « aller me reposer », et au lieu de cela, je suis allé à une fête prévue de longue date. Comme un joueur, je me suis réveillé à 2h30 du matin dans un bar qui passait du métal à 120db, et je me suis dit qu’il était temps de rentrer, peut-être.

Comme un joueur en gueule de bois, j’ai dépensé mes derniers euros en bouteilles de badoit glacée, je les ai bues d’affilée en attendant le début de la deuxième journée de tournoi, mâchonnant deux pommes pour couvrir mon haleine frelatée. Comme un joueur, j’avais envie d’être autre part, et puis a résonné le lancement de cette deuxième journée, et j’ai branché mon casque au téléphone, puis la musique a redémarré, et les premières cartes sont arrivées.

Comme un joueur, Caroline Darcourt m’a pris en photo, et j’étais plutôt content, même si je déteste ces moments, car Caroline a cette empathie qui rend chacun désirable sous son objectif.

Comme un joueur, j’ai fait ami avec mon voisin de table, avant de lui prendre un gros coup, et comme tous les autres joueurs autour, j’ai maugréé à chaque fois que nos tables étaient cassées, et comme un joueur, j’ai foldé, foldé, foldé, puis foldé à nouveau.

Comme un joueur, en huit heures de jeu, j’ai touché une seule paire (de 7, qui touche brelan au flop, et me propulse bien au-delà de l’average), pas une seule main au-dessus d’As-Dame offsuit, et comme un joueur qui regarde les autres joueurs, j’ai du voler la plupart de mes pots, pour attendre un ailleurs plus souriant.

Comme un joueur, j’ai fait le bluff le plus pourri du monde, et comme en face un joueur avait les As en main, j’ai dû faire une horreur pour le sortir. Comme un joueur, j’ai balbutié quelques mots ridicules, car on ne sait jamais comme consoler un autre joueur d’une petite mort imméritée. Comme un joueur, j’ai fermé les écoutilles pour ne pas entendre les moqueries des autres.

Comme un joueur, j’ai attendu et rebondi, j’ai passé un (beau) coup à un semi-pro imbu de lui-même, et je lui ai montré mes cartes car je suis moi aussi un joueur imbu de moi-même.

Comme un joueur, j’ai checké un inconnu après un beau coup, comme un joueur, j’ai écouté mes semblables déverser leurs bad beat, comme un joueur, je les ai entendus se justifier de leurs moves les plus absurdes, comme un joueur, j’ai demandé à mes voisins de table si j’avais bien joué mes mains, histoire de savoir comme eux le feraient.

Comme un joueur, à la pause, je me suis précipité recharger mon téléphone, j’ai fait la queue interminable dans des toilettes saturées, et comme un joueur, j’ai tout fait pour ne pas les entendre parler de re-buy, de tournois high-roller ou de side-events.

Comme un joueur, à environ 100 joueurs left, j’y ai cru encore plus, car j’avais bien au-dessus de la moyenne, car le rythme à table était calme, car j’avais tout le temps du monde et une gueule de bois oubliée dans les effluves de sueur aigre des autres joueurs.

Comme un joueur, j’ai complété un min-raise de la petite blinde, en big blinde, avec 9-10 de coeur. Comme un joueur, j’ai vu apparaître un flop agréable, Dame-Valet-2 offsuit. Comme un joueur, j’ai misé les 2/3 du pot, comme un joueur, mon adversaire, qui avait checké, a payé. Comme un joueur, j’ai vu un turn apparaître, avec rien de plus à l’horizon. Comme un joueur, j’ai check-back pour voir une carte gratuite. Comme un joueur qui voit la lueur au bout du tunnel, j’ai vu un Roi arriver. Et un tapis face à moi. Et comme un joueur avec la deuxième meilleure main possible, je n’ai pas hésité, et j’ai eu une montée d’adrénaline mal identifiée. Comme un joueur qui envisageait de perdre, j’ai payé, et j’ai perdu. As-10 pour une quinte supérieure. Comme un joueur, je viens de vous raconter mon badbeat.

Comme un joueur qui venait de buster, je suis parti l’air vaguement détaché, alors que j’étais agacé, déçu, énervé —contre moi, surtout, mais bien sûr contre le monde entier, car l’enfer, c’est les autres. Comme un ex-joueur, j’ai été toucher mon gain (1750€), et comme un joueur, j’ai fait la liste de ce que cela m’offrirait —une paire de chaussures trop chères, une montre ancienne, un restaurant japonais— et comme un joueur, j’ai rapidement calculé qu’il y en aurait pour bien plus que cela.

photographie Caroline Darcourt pour Winamax

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[WiPT Paris – Journal off] Tout peut arriver

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La musique du hasard est celle qui sert de bande originale à tous les casinos, clubs, cercles, clandos, parties privées, écrans d’ordinateurs du monde entier. Elle résonne comme une ritournelle, change en intensité au fur et à mesure que l’odeur de l’argent entête nos sens, se fait plus strident au moment du couperet de la bulle, puis repart en drone lancinant jusqu’à ce que les vraies places payées (voire les places vraiment payées) se découpent dans l’horizon.

Dans la vie, tout peut arriver, non ? A la table de poker, c’est un pré-requis. Prenez Suat Uyanik, hier soir, au Day 1D, façon Turbo, du Main Event de la finale du WiPT. Réduit à quelques jetons, à peine une grosse blinde, ante non comprise, il part à tapis avec 2-10 de pique, contre une paire de Rois. Flashforward, deux heures plus tard, le voilà quasi-chipleader de la journée, sans être passé par la case re-entry. Entre temps, le 10 avait fait brelan, son tapis avait doublé, puis doublé, puis doublé, puis… Le tempo du hasard s’était accéléré, avait réinjecté un peu de vie et de grinta à celui qui s’était déjà levé et avait enfilé sa veste.

Au poker, tout arrive. Des champions multi-médaillés en viennent à quémander des buy-ins pour midstakes. Des As du online, adulés par des générations de spectateurs, sont jetés à l’opprobre publique pour n’honorer aucune dette et piétiner l’honneur de leurs créanciers. Ce qu’on leur reproche, finalement, n’est pas cette attitude moraliste qui vaut que toute dette doit être remboursée. Qui se fiche bien de savoir si Haralabob Voulgaris, quasi-milliardaire du betting américain, a bien été remboursé de quelques centaines de milliers de dollars par Tom Dwan ? Non, ce qui choque, ce qui blesse, ce qui heurte au plus profond de nous, c’est que ces héros tant admirés, ces bluffs fous et si bien construits qu’ils nous ont agités devant le nez n’étaient qu’instants de pure intensité, prélude à la musique bien plus banale du hasard et du (mauvais) coinflip. Si nos héros nous trahissent, en qui peut-on encore faire confiance?

Et demain, une fois que les quelques 500 joueurs (approximativement puisque le record de 3000 inscrits a déjà été dépassé au moment où nous écrivons ces lignes, et que 16% du field se hissera en Day 2, dans l’argent) auront repris leur place, tout arrivera. Des shortstacks d’une demie blinde entameront une remontée fracassante, parfois brisée en plein vols ; des joueurs à l’aise feront le squeeze de trop, se prendront le mur d’une mauvaise « rencontre »/set-up ; d’autres partiront en maugréant qu’ils « avaient l’équité de toutes façons ». Vu que tout peut arriver, autant s’y préparer.

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