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Le journal Off du poker

Le fisc s'invite dans la partie (dossier joueurs et fiscalité)

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Le couperet était inévitable, mais il y a des menaces qu’on préfère ne pas voir venir : depuis quelques mois, l’administration fiscale s’est penchée plus sérieusement sur le microcosme du poker professionnel et a décidé de donner un grand coup de pied dans la fourmilière, signifiant des redressements à plus d’une centaine de joueurs professionnels ou gagnants d’une grosse somme en tournoi ces dernières années. L’hécatombe est totale, et les réactions de la part des joueurs se font de plus en plus publiques, avec plus ou moins de discernement et de distance : Jérôme Zerbib, Philippe Ktorza, Adrien Allain, Julien Brécard ou encore Rémy Biechel sont récemment montés au créneau sur les réseaux sociaux, appelant à un véritable moratoire de la fiscalité concernant les gains au poker. Il faut dire que la législation a toujours été floue sur la question, et que la nature même de l’activité de joueur de poker est au cœur des questionnements. Pour Olivier Karsenti, avocat au Barreau de Paris, c’est le fondement du jeu de poker qui est ici mis en cause : « Est-ce un jeu de hasard ? Est-ce un jeu d’adresse ? À partir de quand un joueur devient-il un joueur professionnel ? Quel faisceau d’indices doit être validé ? Quel statut, ensuite, donner au joueur de poker professionnel ? »

L’administration fiscale n’a, pour l’instant, pas fait énormément de distinctions à ce sujet. La jurisprudence Petit – du nom d’un des premiers jeunes joueurs ciblés par le fisc, il y a quelques années – a permis à l’administration d’affirmer que le poker n’est pas un jeu de « pur » hasard et qu’il devient un jeu d’adresse s’il est pratiqué très régulièrement. Étrange changement de paradigme pour une activité à dimensions variables ? Il faut dire que l’ambiguïté sur le statut du poker ne date pas d’aujourd’hui : avec la démocratisation du jeu, l’ouverture des rooms online et la forte communication qui a découlé de la légalisation du .fr encadrée par l’ARJEL, le poker est sorti de son statut symbolique de jeu de hasard, pratiqué uniquement dans les cercles de jeux et les casinos, pour acquérir une nouvelle aura, souvent véhiculée par les communicants et les joueurs eux-mêmes, celle d’un sport qui implique une préparation physique et mentale (apparition en masse de coachs de joueurs), un esprit d’équipe (les Team Pros) ou encore des tutoriaux de stratégie afin d’améliorer son jeu. En substance, ce que dit l’administration fiscale se résume à cette approche : si le poker n’était que hasard, pourquoi toutes ces nouveautés seraient-elles apparues ? Il est d’ailleurs assez ironique que, de l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis, les rooms online militent pour que les États et l’État fédéral acceptent le statut non hasardeux du poker. C’est par cette seule et unique hypothèse que le jeu pourra être légalisé. Légalisé, oui, et donc taxé. Depuis le 12 septembre 2012 et la refonte de la doctrine administrative, intégralement en ligne désormais, doctrine qui fait maintenant référence au jugement Petit du tribunal administratif de Clermont-Ferrand précité et à la réponse ministérielle Filipetti, c’est le statut du joueur de bridge qui a, en quelque sorte, été étendu, selon l’administration au moins, à celui du joueur de poker, rattachant ainsi de manière artificielle le joueur de poker à un statut déjà existant, même s’il n’est en rien équivalent. Vincent Chaulin, avocat au Barreau de Paris, spécialiste en droit fiscal, s’interroge : « Est-ce à l’administration fiscale de définir le régime fiscal du joueur de poker ou au législateur, seul compétent pour définir les règles en matière fiscale selon l’article 34 de la constitution ? Quand on relit l’exposé des motifs de l’amendement Filipetti à la loi de finances rectificative pour 2011 en novembre 2011 qui tendait à introduire un régime fiscal du joueur de poker et qui avait été rejeté, on comprend que, pour le législateur lui-même, la situation n’était pas claire. »

S’il est une certitude, et ce pour toutes les parties en présence, c’est que le flou juridique qui a longtemps entouré le statut du joueur de poker ne doit plus durer. Rémy Biechel, récemment contrôlé, est même très modéré sur la question : « Je suis enfant d’ouvrier et mon père qui a gagné 1 800 € toute sa vie payait des impôts : je trouve donc cela tout à fait logique de payer moi aussi ma part de l’effort de solidarité nationale. » Mais pour l’ancien membre du Team Pro Barrière, il faut raison garder et surtout intégrer à la taxation toute la complexité et la diversité de l’activité des joueurs de poker : « Un joueur ne fait pas que gagner, bien au contraire. Il faut pouvoir enlever la somme des buy-in globaux aux gains, mais aussi intégrer les frais d’hôtel, de déplacement, de communication, et bien évidemment des pratiques tels que le stacking, le swap et les deals en cas de table finale. »

Vu de l’extérieur, le monde du poker peut paraître particulièrement intéressant pour une administration fiscale qui ne connaît pas obligatoirement toutes les subtilités d’un tel milieu. « La médiatisation du poker, ainsi que sa légalisation en France, ont permis une meilleure traçabilité des gains de tournoi. L’administration fiscale a réalisé qu’il y avait peut-être beaucoup d’argent à taxer, mais c’est faire preuve de méconnaissance du dossier. » Rémy Biechel pointe son cas personnel : « On me demande actuellement 500 % de mes gains sur les années concernées : entre les taxations pour activité occulte, les rappels de retard et l’application basique de l’assiette d’imposition, cela devient absurde. J’avais contacté les impôts en amont, en leur précisant tous mes buy-in, preuves d’inscriptions aux tournois à l’appui, ainsi que des justificatifs de frais de déplacement et d’hébergement pour ces compétitions. Résultat : aucun billet d’avion n’a été intégré dans leurs comptes, et seulement quelques hôtels… C’est parfaitement absurde, comme si j’allais à Las Vegas à la nage… » Mais restent aussi les questions importantes du stacking, du swap et des deals en table finale. Pour le stacking, comment prouver qu’un joueur vous a financé l’inscription à un tournoi ? Pour le swap, comment légaliser un accord oral souvent passé au détour d’une table à une connaissance du circuit qui vous échange 2 ou 5 % des gains de ce tournoi qui va commencer ? Quant au deal, souvent interdit par les circuits de poker, s’il n’est pas validé par le casino ou l’organisateur du circuit, aucune preuve tangible ne peut être amenée.

La pénalité la plus forte, pour activité occulte, est de 80 % supplémentaires, mais elle peut facilement être contredite, souligne l’avocat Olivier Karsenti : « Le principe d’activité occulte ne tient que si le joueur ne peut présenter de comptabilité à l’administration fiscale. Si celui-ci dispose ne serait-ce que d’un début de comptabilité, avec des preuves de buy-in, de frais ou de stacking, cette surimposition est rapidement démontable. » Le fisc se base uniquement sur ce qui est traçable : les gains en ligne sur les rooms .fr, les dépôts sur les comptes en banques (chèques, virements, liquide) ou les bases de données de gains en tournoi. Mais, précise Olivier Karsenti, il faut aussi pouvoir justifier de ses buy-in : comment expliquer ces buy-in répétés à 10 000 €, si vous n’avez aucun gain et aucun travail déclaré… Le piège peut ainsi marcher dans les deux sens : est-ce que cela implique une forte activité en cash-game ? D’autres activités occultes ? Comme souvent dans ce genre de dossiers, l’administration fiscale tire un fil qui peut l’amener très loin dans le redressement.

Mais à chaque jour une situation personnelle différente. C’est d’ailleurs toute la complexité de ce dossier. En effet, certains membres de Team Pro ont une activité professionnelle par ailleurs – dirigeant de société, agent immobilier, etc. – qui leur assure des revenus réguliers et conséquents. Le cas d’Alexia Portal, soulevé par son ami du Team W Manuel Bevand, est instructif : la vérification de comptabilité effectuée par l’administration fiscale n’a pas eu de suite pour plusieurs raisons. Les principales : « Alexia est comédienne et animatrice en plus d’avoir fait partie du Team Winamax pendant plusieurs années avant de rejoindre Full Tilt. Sur les années contrôlées (2003-2010), Alexia a fourni l’intégralité de ses fiches de paie (elle est intermittente et salariée). Elle a fait preuve d’une transparence totale en montrant que tous ses revenus liés au poker sont passés directement sur son compte en banque (donc pas de volonté de dissimulation). À la demande de son inspectrice, Alexia a déclaré le nombre de jours dédiés au poker et à ses autres activités. Ayant conclu qu’Alexia jouait environ 20 jours par an et travaillait le reste de l’année, la qualification comme joueuse pro n’était pas crédible. Les sommes concernées (principalement les 70K de gains qu’elle a faits en 2010) ne dépassent pas de beaucoup les revenus de son foyer fiscal », résume ainsi son ancien coéquipier. On peut ainsi esquisser, en creux, un début de définition du joueur professionnel (importance de l’activité au cours de l’année ; importance des gains nets par rapport aux autres revenus du foyer), pour se diriger vers un indispensable statut fiscal du joueur professionnel de poker. « C’est quelque chose de vital d’en passer par là », remarque l’avocat Olivier Karsenti. « Les joueurs ne sont pas opposés à l’idée de payer des impôts, bien évidemment, mais le statut proposé doit être adapté à la réalité de ce groupe d’individus. » Julien Brécard abonde dans ce sens : « Je souhaite payer des impôts sur mes gains de jeu afin de pouvoir obtenir un statut dans cette société […] J’ai des revenus, je les déclare depuis septembre 2000. Sauf qu’il était spécifié que le poker était un jeu de hasard donc je n’ai pas déclaré mes gains de jeu depuis que je joue. »

De nombreuses questions restent ainsi en suspens : comment, le cas échéant, imposer des joueurs pros dont le revenu serait… négatif ? Selon l’avocat Vincent Chaulin, « il serait cohérent, au titre de l’année où une perte a été globalement réalisée, de reconnaître un déficit imputable sur les autres revenus de l’année en cause ou des six années suivantes puisqu’il s’agit, selon l’administration, d’une activité professionnelle. On peut se demander alors si le poker est une manne fiscale pour l’administration ou une fausse bonne idée pour les finances publiques puisqu’il n’est pas exclu qu’il y ait plus de perdants que de gagnants… » Doit-on et comment, également, prélever l’impôt sur les années passées, et quel régime appliquer alors que pendant longtemps, la loi d’imposition sur les jeux de hasard (le poker étant un jeu de casino et de cercle) semblait toute naturelle ? Quelles liquidités possèdent réellement les joueurs de poker pros et semi-pros au bout de plusieurs années de circuit ; les impôts ne s’attaquent-ils pas vainement à un groupe de personnes qui ont manié beaucoup d’argent, peut-être, mais qui sont très largement déficitaires au final, en incluant les frais réels, ou tout du moins très peu bénéficiaires ? N’est-ce pas également pousser cette communauté notoirement nomade à un exil fiscal systématisé et massif ? N’est-ce pas les détourner du online en .fr vers l’illégalité du .com ?

Les joueurs, quant à eux, sont très pessimistes. Pour Rémy Biechel, c’est « la mise en pause indéfinie de ses activités poker, jusqu’à négociation avec l’administration fiscale. » Chez Julien Brécard, c’est la question de l’exil fiscal, femme et enfants sous le bras, pour retrouver ses amis grinders depuis longtemps partis à Londres, Malte, le Mexique ou la Thaïlande. Du côté d’Adrien Allain, l’angoisse du redressement de sa plus grosse année de gains : « J’ai reçu une réponse de mon inspectrice des impôts, qui me demande 312 000 € pour 2009/2010 sachant que j’en ai touché, net, 270 000 € environ. Du coup je préfère ne pas penser à 2011 car ils devraient me demander pas loin d’un million… » Philippe Ktorza a une vision plus globale : « Tout le monde du poker est bel et bien en danger. Nous sommes tous concernés : amateurs, pros, rooms, presse, croupiers, etc. Tout le monde du poker doit montrer l’exemple et se mobiliser. Si nous ne trouvons pas de solution saine et juste, comme payer un impôt, oublier le passé, ou du moins retirer toute forme de pénalités (en sachant que les joueurs de poker n’ont pas fraudé sciemment), bref une solution pour permettre à notre jeu favori de (sur)vivre, alors je ne donne pas cher de l’avenir du poker en France… » Olivier Karsenti est du même avis : « L’administration fiscale doit prendre des décisions et des aménagements afin de ne pas tuer dans l’œuf le poker en France. Tant que les joueurs ne seront pas allés à Bercy ou au tribunal administratif afin de clarifier leur statut et remettre en cause l’analyse fiscale de l’administration, le paysage ne sera pas plus clair et l’imposition paraîtra injuste. »

Jérôme Schmidt

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[Finale WiPT] L’union fait la force

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Il faut croire que la devise ne sied pas qu’aux pays qui l’ont officiellement adoptée (Andorre, Angola, Belgique, Bolivie, Bulgari, Géorgie, Haïti et Malaisie) : au poker aussi, l’union fait la force. C’est en tout cas l’évidence qui s’impose lorsqu’hier, au lancement des derniers Day 1, trois figures du poker hexagonal sont montées sur scène, scellant ainsi une alliance que beaucoup n’auraient jamais imaginée il y a encore quelques années : Matthieu Duran (Live Event directeur de Winamax), Patrick Partouche (des casinos du même nom) et Apo Chantzis (Texapoker).

Alors que des secousses avaient mis de la friture sur la ligne de la relation Winamax-Partouche il y a plusieurs années, il fallait bien tout le savoir-faire et le talent naturel d’Apo Chantzis, fort de ses équipes et son maillage extraordinaire sur tout le territoire, pour mettre tout le monde autour d’une même table, et arriver à sceller un destin commun. Hier, leur présence à trois sur la grande estrade du Pasino Grand d’Aix-en-Provence était à la fois le symbole d’une industrie pacifiée, qui travaille désormais main dans la main, et d’une victoire médiatique, devant ce qui allait devenir le plus grand field d’une finale du Winamax Poker Tour.

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[Finale WiPT — Journal Off] Moi y’en a vouloir des sous

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Petit à petit, le field se rapproche « de l’argent ». Une obsession pour ces milliers de joueuses et joueurs qui se déplacent parfois depuis l’autre bout de la France afin de s’offrir un shot au prizepool juteux proposé par ce tournoi à seulement 500€ ? Pas certain, ou en tout cas, pas obligatoirement pour tout le monde. L’obsessions d’entrer dans l’argent (souvent pour un gain marginal, à moins d’atteindre le Top 20 du tournoi, surtout lorsqu’on a mis plusieurs bullets dans le tournoi, jusqu’à sept pour les plus opiniâtres) relève plus du défi personnel —inscrire sa première ou son énième ligne HendonMob, raconter à ses amis son run avant son badbeat qui met une halte définitive à tout rêve d’argent et de gloire— que d’un plan de carrière. Les pros, on le sait, sont de moins en moins présents dans les fields de poker, ce jeu de hasard et de talent (dans l’ordre inversé) étant devenu pour beaucoup un loisir, une récréation, une parenthèse qu’il faut garder enchantée.

Rien de plus frustrant pour un joueur, en effet, que de ne pouvoir jouer ; au piquet, pour celui qui s’interdit de jeu comme pour celui qui y est tricard du boléro. En montant le long escalator qui amène au premier étage du Pasino Grand d’Aix-en-Provence, on glisse lentement, dans le brouhaha des jetons et des files de joueurs en attente d’un siège, au beau milieu des fanions qui ornent les murs, célébrant vainqueurs et héros du Winamax Poker Tour au fil des années. Parmi les visages en gros plan, cadrés serrés, une seule photo de groupe : celle de la « Team Big Roger », victorieuse en 2013 du seul tournoi par équipe proposé lors de ces festivals. Sur l’affiche, trois visages souriants, ceux de Stéphane Bazin (depuis très rare sur le circuit poker), Antonin Teisseire (omniprésent lors des tournois du sud-est de la France et sur le circuit Partouche) et Roger « Big » Hairabedian. Ce dernier, nous en avons déjà parlé in extenso lors d’une plongée tête la première dans son éternelle télé-(ir)réalité qu’il autoproduit chaque jour ses réseaux sociaux, annonce son éternel come-back. Mais ses courbes émotionnelles, tout aussi ascendantes que descendantes, ont rendu l’opération de plus en plus délicate. Chaque espoir s’ouvre teinté d’une seule crainte pour l’observateur empathique : que rien ne voie le jour, que tout s’effondre avant d’avoir été monté, voire simplement esquissé.

On ne croisera pas Roger Hairabedian à Aix-en-Provence au WiPT 2025. Contempteur du online, ce n’est pas pour cette raison qu’il aura décidé de skip un large field comme il les aime ; il est tout bêtement interdit de tous les casinos Partouche. L’homme a du talent —il en a toujours eu et, peu importe les années qui passent, il sait signer quelques places dans les casinos qui l’accueillent encore, comme le Circus à Paris— mais aussi celui de se mettre à dos la terre entière, avec quelques obsessions à la clé en sus. On ne sait jamais vraiment, dans les nébuleux rebondissements qui peuplent ses dérives intimes, quelles sont les véritables raisons de ces interdictions de casino, fâcheries diverses et vendetta en ligne. Peut-être, finalement, n’est-ce d’ailleurs pas la question principale…

« Les centaines de choses que l’on a faites de travers dans la vie. Pas forcément à dessein : elles ont pu se produire par stupidité, maladresse, inconscience, par mégarde, pure connerie, sans arrière-pensée« , lisait-on justement à quelques minutes du coup d’envoi du Day 1E en incipit d’un roman sublime, Jours blancs (Jeroen Brouwers, 2013), sous le regard étincelant du Big Roger gagnant d’il y a une décennie. Le regard, depuis, s’est fait plus dur —parfois lucide, parfois désespéré, souvent encore joueur. « Il arrive qu’un souvenir insupportable s’en échappe, et pénètre soudain votre cerveau, pareil à un cambrioleur qui vous jette une corde à piano autour du cour, et nous serre la gorge. » Le souvenir de la victoire, de la gloire et de l’argent étrange ainsi au quotidien ceux qui ont connu de telles cimes ; la respiration de ce millier d’anonymes qui se presse sur l’escalator menant à la table de tournoi n »est que régularité et stress positif.

Que faire, lorsqu’on ne peut plus jouer ? Lorsqu’on vit à distance les grands évènements sans, parfois, ne pouvoir y participer ? A l’époque de champions sublimes comme Stu Ungar, c’était la brokitude qui interdisait toute action. Dans sa biographie, écrite par Nolan Dalla (Joueur né, 2008), l’ancien champion du monde tourne en rond, imaginant les caves s’envoyer en l’air pendant que lui rumine dans sa chambre d’hôtel miteuse du Gold Coast, à Las Vegas. En 2025, Roger Hairabedian a inventé d’autres expédients, intronisant à quelques semaines des grandes compétitions de l’année (WiPT, WSOPC, WSOP Vegas) une joueuse inconnue, Céline « Douceur » Beauchamp, 716$ au compteur de sa page HendonMob. Aux antipodes, donc, de Roger Hairabedian, 11ème joueur all time français et ses quelques 5 500 000$ de gain. On imagine, assez simplement, un contral moral de stacking avec celle qu’il estime « prête à faire de grandes choses dans le poker », sans en connaître plus de détails.

A la hargne et la grinta du parrain Hairabedian, succèderait donc la « douceur » de sa néo-protégée, Céline Beauchamp, qui a cette double tâche muette d’adoucir l’image du mentor et d’aller chercher la gagne là où les portes lui sont désormais fermées. Croisée par hasard à table lors du Day 1C de la finale du WiPT, on ne lui aura pas porté chance, puisqu’elle va sauter quelques secondes plus tard du tournoi principal. Si l’argent et la gloire médiatique sont au choix les deux mamelles qui sous-tendent le monde depuis l’époque pas si révolue de Jean Yanne (pour les plus jeunes, réalisateur & acteur anar-libertarien des années soixante), vivre par procuration le jeu, ses frissons et ses enjeux narcissiques, semble relever d’un lent supplice qu’on ne saurait conseiller à ses pires ennemis. Comment continuer à être, lorsqu’on a été ? Parmi la foule qui s’amasse au fur et à mesure que nous écrivons ces lignes, il y a sûrement dans cet horizon de rêves flottants au-dessus de chaque siège bien des nuances de fantasmes : l’action, le fun, la légende, la victoire et même la perte. Rien ne va plus, faites vos jeux.

(photo : Jules Pochy)

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[WPO Bratislava – journal off] L’odeur du tabac froid

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Il n’y a pas que la victoire dans la vie. Pas que le rush d’adrénaline de la river miraculeuse, la douce euphorie des triomphes annoncés que rien ne vient trahir. Pas que les billets qui passent de main en main pour finir dans sa poche, pas que les trophées à empiler, les credit-card roulettes jamais perdues, les regards empreints d’admiration, les amitiés nouvelles et éphémères. Il y a la défaite, aussi. La solitude d’un casino à 8h du matin, en pleine semaine, quand les petits-déjeuners offerts par l’établissement sont autant d’incitation à rester encore un peu, histoire de se refaire, de ne pas affronter le ciel grisâtre qui a englouti la ville, ne pas croiser son regard dans les miroirs fumés des couloirs qui amènent vers la sortie.

En arrivant trop tôt ce matin au casino Bratislava, la ferveur de 23h59 s’est éclipsée depuis quelques heures. Les vainqueurs, eux, dorment du sommeil de ceux qui ont vu juste. Ne restent que les joueurs, les vrais joueur, ceux qui se fichent bien de gagner et de décaver. Le parfum capiteux qui flotte dans les casinos et les clubs de jeux du monde entier (une amie, ancienne responsable d’un cercle de jeu parisien, m’avait un jour confié que cette odeur si typique aux établissements de jeux, constituait pour elle une madeleine de Proust olfactive, comme l’odeur du poulet dominical, qui la réconfortait immédiatement, par habitude) a depuis longtemps été dissipé par l’odeur du tabac froid. Au sous-sol, machines à sous sous la forme modernes, roulettes électroniques ou avec  croupier et tables de blackjack accueillent une dizaine d’irréductibles. Des joueurs locaux, habitués de ces wee hours où l’on joue par habitude, manque d’envie, voire lassitude. C’est l’illustration presque plastique de la grande théorie psychanalytique du joueur pathologique : il préfère perdre, afin d’avoir une raison de se plaindre —et donc d’être écouté, réconforté, materné.

La gagne, la ouinne, n’est pourtant pas interdite. Au hasard d’un billet de 50 € transformé en quelques minutes en plusieurs billets verts, on se découvre repartir les poches pleines, laissant derrière nous, très vite, le tabac froid, les mines grises, les cafés tièdes du buffet, les roulettes qui tournent dans le vide. A l’étage, les tournois de poker n’ont pas encore repris. Il faudra attendre midi, et l’arrivée d’une flopée de WIP (icônes télévisuelles, influenceurs, sportifs, etc.) ainsi que de joueurs pros pour que la fête reprenne et puisse battre son plein. Et là, peu importe la gagne tant qu’il y a le fun.

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